CE QUI DOIT CROÎTRE ? CEUX QUI CROIENT !

3 octobre 2010

Le grain de moutarde, en effet, est l'une des graines les plus insignifiantes qui soient. A peine peut-on les percevoir dans le creux de la main. La foi commence ainsi : minuscule, imperceptible, si ténue que celui qui la porte en lui n'en n'a même pas une conscience claire et distincte.

On reproche beaucoup à Dieu de ne pas aller assez vite, de ne pas hâter le temps de sa venue, de ne pas venir par son règne mettre fin aux guerres, aux horreurs, aux injustices dont notre monde est blessé, et avec lui la conscience de ceux qui ont une conscience. Mais, à l'évidence, son temps n'est pas le nôtre. Qu'en Jésus-Christ il ait voulu entrer dans notre manière de vivre le temps, c'est une évidence. Il s'y est même soumis en choisissant d'être dépendant, de grandir, de vieillir… Notre temps a du prix au yeux de Dieu, Il choisit de dépendre de ce temps pour accomplir son œuvre : arracher notre monde aux ténèbres, à la loi du plus fort, aux blessures de la Création, aux illusions de l'égoïsme… Car dans ce temps qui nous est donné et jamais en-dehors de lui, se déploie notre liberté, nos hésitations, et finalement notre « oui » lorsqu'il vient, un « oui » sans réserve à la vie qu'Il nous offre, seule porte par laquelle Il puisse entrer et régner, comme s'Il était chez Lui. Alors qu'Il l'est, bien sûr. Mais pas sans le consentement de sa minuscule créature, l'homme, dont Il accepte de dépendre suprêmement. Pour l'homme, Dieu ne fera rien sans l'homme. C'est nous qui, finalement, lui offrons ou non l'hospitalité au coeur de notre temps.

C'est la raison pour laquelle Jésus prend, pour parler de ces choses délicates à saisir, la géniale et lumineuse comparaison de la croissance germinale. Ce qui est semé a besoin du temps, et rien ne se fera sans cette acceptation d'une promesse différée, le contraire même du « tout, tout de suite! » auquel nous sommes si habitués parfois. « Cette vision se réalisera, mais seulement au temps fixé ; elle tend vers son accomplissement, elle ne décevra pas. Si elle paraît tarder, attends-la : elle viendra certainement, à son heure », avons-nous entendu à la 1ère lecture. De même, pour nous, quelque chose doit croître, s'étendre, se répandre, déborder, devenir visible et même incontournable. De quoi s'agit-il ? S'agit-il d'une idée, d'un projet, de quelque chose de matériel ou d'immatériel ? Il s'agit sans doute de tout cela à la fois, et même de bien plus : il s'agit de LUI. Ce qui est semé en nous par le don insigne du baptême, c'est Dieu par l'Esprit. C'est le Christ-germe, aussi petit que l'enfant qui vient de naître, pas encore capable de parler. C'est cela qui doit grandir. Et devenir Parole. La nôtre… et la sienne… Dieu en l'homme, comme Il le désirait si ardemment semble-t-il.

Alors vient la question du service, qui semble arriver de nulle part dans cet Evangile. De nulle part? Peut-être pas. Elle vient de la promesse même d'une foi qui grandit, qui n'est rien d'autre que la promesse du Christ qui, en nous, grandit, lui qui est la source et l'objet même de la foi, puisque par lui Dieu peut être contemplé et connu. Le service, cet étrange appel à devenir ce que nous sommes, des « êtres-pour-le-service »… Servir, c'est tout à coup réaliser en nos actes l'Amour originel, cet amour qui s'adresse tout à la fois à nous (qui nous recevons du projet créateur du Père et accomplissons ce pour quoi nous sommes créés), à nos frères (que nous servons et re-connaissons ainsi comme semblables) et au Créateur (que nous glorifions dans ce service), dans la lignée du triple commandement d'amour que Jésus nous a laissé: Dieu, ton prochain, toi-même… Servir, ce n'est pas devenir activiste, ce n'est pas courir partout, comme on le croit trop souvent. C'est d'abord s'asseoir et calculer, comme l'architecte qui veut bâtir, et se demander: « si je suis appelé à servir, comment puis-je servir, quels dons puis-je offrir, comment les mettre en oeuvre? ». Dans le service, la foi devient actes, l'illusion de l'égocentrisme laisse place à la vérité d'une vie tournée vers autre que soi, là où il faut chercher le visage même du Ressuscité. Servir, c'est d'abord accepter que je puisse y être appelé et y parvenir. Servir, c'est vraiment croire. Et parce que la foi ne grandit que par la grâce, par ce compagnonnage quotidien avec le Maître auquel notre foi s'attache, parce que ce chemin ne peut en aucun cas se faire synonyme de la passivité et d'un contentement de soi au rabais, parce que le monde a besoin de nos pauvres espérances qui font naître des actes humbles mais incroyables de joie transfigurée en éternité, peut-être bien que le monde a besoin de notre foi si petite mais appelée à grandir, peut-être bien que dans notre monde si désenchanté, croire, c'est servir.

Père Émeric Dupont

Les commentaires sont fermés.