« Habillez-le! »

12 septembre 2010

On a coutume de s'émouvoir, à juste titre sans doute, de la joie débordante du père dans la parabole du « fils prodigue ». Il nous arrive d'être sensible à ces marques touchantes d'attention et d'amour qu'il offre à celui qui revient (quelles qu'en soient les raisons bonnes ou mauvaises, qu'importe) de son exil volontaire. Pour lui, le repas sera abondant. La bague, les chaussures et la robe dont on va le revêtir seront de grande qualité. Mais cette histoire ne serait pas parabole si elle n'avait pour signifié des figures qu'elle cherche à nous faire connaître. Le père du récit est bel est bien une métaphore du Père céleste qui regarde et accueille de cette manière déraisonnable parce qu'amoureuse, son enfant… qu'il soit l'égaré égocentrique ou le légaliste amer.

Un mot a retenu mon attention. La traduction habituelle nous fait part de la « plus belle robe ». « Protèn », en grec, peut aussi se traduire par « première ». La « première robe »… La robe des origines, symbole d'une plénitude de confiance originelle, offerte au commencement, par le Créateur à sa créature humaine. Cette expression de « première robe » m'a interpellé. L'enjeu de la nudité humaine comme honte de soi et de la nécessité de la recouvrir en signe de dignité retrouvée, est centrale dans toutes les Ecritures et les traverse de part en part. N'oublions pas, par exemple, à la fin de l'Evangile de Jean, cet étonnant passage où Pierre, reconnaissant le Seigneur sur l'autre rive, s'habille pour plonger à sa rencontre… Passage étonnant au premier niveau de lecture mais tout à fait compréhensible dans une logique symbolique, justement.

On a trop souvent voulu faire de la Genèse un livre naïvement scientifique, ou, pire, historique. Or c'est un récit de foi quant à l'origine de l'homme, foi d'Israël puis des chrétiens, admirablement mis en forme d'une manière toute entière symbolique, et revendiquée comme telle dans la façon même de l'écrire. Dans le livre de la Genèse, donc, la rupture de communion avec Dieu étant consommée, l'homme et la femme se découvrent tout à coup nus, et, remplis de honte, se protègent à l'aide de feuilles de vigne, que Grégoire de Nysse, un Père de l'Église, qualifie de « haillon de misère ». Ce n'est pas qu'en elle-même la nudité serait misérable, mais la misère vient de ce qu'elle révèle quelque chose de perdu: une manière toute différente de regarder l'autre, en voyant d'abord en lui sa dimension unique, admirable. Mais, me direz-vous, avant cette brisure originelle du lien d'intimité entre Dieu et l'homme, l'homme et la femme ne portaient pas de robe ! Quelle est donc cette « première robe » perdue, cette dignité que Dieu seul peut redonner à celui qui revient vers Lui ? Pour Jean Chrysostome, autre Père de l'Eglise, les humains « jouissaient d'une telle confiance qu'[il] en était effectivement, comme s'ils n'avaient pas été nus : la gloire d'en haut les vêtait mieux que n'importe quel vêtement ». La « première robe », c'était, c'est aujourd'hui même, la confiance en Dieu, l'accueil plénier de Sa vie, qui redonne, par corollaire, confiance en soi et en l'autre. « Tu aimeras Dieu et ton prochain comme toi-même »… L'enfant prodigue avait perdu jusqu'à l'amour de soi, la tendresse paternelle de Dieu lui ré-offre dans ce geste de l'accueil plénier.

Notre liturgie le célèbre avec éclat, lorsqu'au baptême elle s'exclame « tu as été baptisé dans le Christ, tu as désormais revêtu le Christ, tu participes à sa triple dignité de prêtre, de prophète et de roi », lorsque les nouveaux baptisés revêtent le vêtement blanc qui est sensé symboliser cette transformation intérieure. Et il y a, autour de nous, chez ceux que nous côtoyons et en nous-mêmes, tant de nudités, de hontes de soi, de désespérances, à revêtir du vêtement immaculé de la confiance retrouvée et de la bienveillance qui libère ! Mais une telle relation, comme le vêtement immaculé ou précieux qui la signifie, est fragile. Quiconque n'en prend pas soin l'abîme et la déchire. Le pardon, donné et reçu, seul, la répare. Mais c'est une autre histoire…


Père Emeric DUPONT

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