« Et pourtant nous serons sauvés »

27 novembre 2011

Isaïe le prophète se lamente et s’impatiente. Dieu, c’est pour quand? Et la fin des misères et des injustices? A quand la fin des larmes et des blessures ? Question que tout croyant, quel qu’il soit, s’est posée un jour, celle qui revient dans les psaumes « Jusques à quand, Seigneur, jusques à quand ? », comme une manière de dire l’insupportable d’un monde qui semble dérégulé, sans justice, sans axe, et surtout parfois sans horizon. Comme si le monde, dans ce qu’il a de désespérant, contredisait l’idée même d’un Dieu bon, d’une intelligence supérieure à tout ce que l’esprit humain puisse concevoir, infiniment juste et rationnelle, produisant un monde ordonné où chaque chose serait à sa place, où tout s’organiserait parfaitement, harmonieusement.

Pour l’organisation, c’est mal parti : l’un des récits de la Genèse dit que Dieu a confié à l’homme le pouvoir de nommer les choses. Nommer, c’est classer, ranger, ordonner. D’une certaine manière, c’est gouverner. Mais c’est sans doute là où le bât commence à blesser : nous nommons mal. Notre maîtrise du verbe, de la parole, nous l’utilisons pour travestir, truquer, « arranger » les choses selon nos vues. « Je ne suis pas impitoyable, je suis exigeant »… « Je bats ma femme mais c’est pour son bien »… Quand des magouilles politiques deviennent des « arrangements », ou, pire, des « accords d’avenir », quand l’avidité et la soif du pouvoir deviennent de l’ « ambition », la superficialité de la « rapidité », l’égoïsme une « préférence de soi et des siens »… alors il nous faut nous rendre à l’évidence: nous avons mal, très mal géré le pouvoir qui nous est donné. L’harmonie dont nous avions la responsabilité, nous l’avons transformée en chaos. Et il est sans doute facile de reporter sur Dieu notre incapacité à aimer comme il faudrait, à mettre l’amour à la première place. Car tout, aussitôt, nous le pressentons, serait alors remis à sa juste proportion. S’il y a l’amour, il n’y a pas « Moi d’abord », il y a une petite place qui tout à coup se libère pour de l’ « autre ». Cette petite place, souvent manquante, dramatiquement, tant nous sommes remplis de nous-mêmes.

Alors Dieu vient, nous dit Isaïe, faisant fondre les montagnes. Et nul ne s’en est rendu compte. Une manière de dire qu’il a déjà commencé à transformer le monde. Comment ? En transformant la plus grande force qui puisse agir sur le monde : l’homme. Mais c’est une transformation intérieure. Lente, laborieuse, avec des va-et-vient. Décevante, forcément. Mais irréversible. Et seuls des volontaires peuvent être transformés. Pour être cette poterie dans la main du créateur, il faut accepter d’être modelé, re-modelé, afin que se dessinent à travers nous les contours d’un être nouveau : l’enfant de Dieu. Car ce n’est pas d’un peuple d’animaux humains que le Tout-puissant veut remplir la terre. Ni d’esclaves serviles et tremblants. Mais d’un peuple d’héritiers, de coopérateurs, d’amis. Une famille dont il serait l’origine et le principe d’unité. Un peuple qui, en se laissant aimer, comprendrait que l’amour vrai chasse la crainte, les ténèbres, les mesquineries. Il traverse même les ravins de la mort. Il est semence d’éternité. Et ce serait alors le début d’une vie nouvelle, celle qu’Isaïe appelle de ses vœux en se lamentant sur le cœur dur de l’homme. Ce cœur cadenassé, l’ultime verrou qui empêche l’œuvre de salut de se répandre sur le monde et l’univers entier. Le cœur de l’homme, minuscule et dérisoire lieu de déni ou d’acceptation de Dieu, sans lequel pourtant Dieu ne peut rien faire car c’est ainsi qu’Il a voulu que cela soit. Et c’est ainsi !

C’est pourquoi l’Avent, ce temps dans lequel nous entrons, ne cesse de faire signe vers ce Dieu qui vient, qui veut se faire proche. Mais qui ne peut aller plus loin que nos barrières intérieures, celles qui nous protègent, croyons-nous, de toute vulnérabilité, condition préalable à la confiance vraie. Et ce sont ces barrières que le Baptiste voudrait voir tomber, sa prédication nous accompagnera au long de ces semaines qui mènent jusqu’à Noël. Elle secouera, je l’espère, un peu de notre léthargie spirituelle. Notre liturgie des dimanches nous fera cheminer au rythme de cette découverte bouleversante, en nous faisant contempler dans le Christ Enfant, si démuni et si fragile, ce Dieu qui vient en faisant « fondre les montagnes », en transfigurant la face du monde, puisqu’il vient prendre racine au cœur d’une terre si prometteuse et si décevante à la fois: celle de notre humanité. Mais de déception, au cœur de Dieu, il ne saurait être question. Ce qui l’emporte, c’est la puissance de la promesse. Devenons cette promesse, enfin tenue, enfin accomplie !

Père Émeric DUPONT

Une réponse à « Et pourtant nous serons sauvés »

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