LE CHRIST… UNE QUESTION DE « VALEUR ».

19 septembre 2010

Dieu et l'argent, une histoire tumultueuse… Où l'ironie pointe parfois, du point de vue divin (exprimé la plupart du temps par les prophètes, puis par le Christ lui-même), sur cette agitation qui saisit l'humain face à ce qui ne devrait être qu'un moyen d'échanger, de symboliser la valeur et non de prendre la place de Dieu. Le taureau fabriqué de main d'homme avec de l'or des bijoux, au désert, lors de l'Exode, en dit long sur l'attrait-fascination qu'exerce l'argent sur les consciences, au point de faire perdre le sens commun aux volontés les mieux trempées.

L'Évangile, qui souligne l'ambivalence de « l'argent trompeur », est l'occasion de revenir sur un épisode trop souvent mis de côté: la « vente » du Christ par Judas aux autorités romaines. Cet échange, Jésus contre trente deniers (pièces d'argent), équivaut à peu près au prix d'achat d'un esclave ou d'un minuscule lopin de terre. A l'époque, il s'agissait de quelques euros d'aujourd'hui, guère plus. Saint Paul souligne le paradoxe, savoureux et effrayant, d'un tel marché. Celui en qui « tout a été créé dans les cieux et sur la terre, les êtres visibles et les puissances invisibles » (Col 1, 15-16), c'est-à-dire qui est la source même de toute richesse, de toute valeur même, est échangé au prix d'un moins-que-rien. Le prix payé, dérisoire, est assumé par les autorités du Temple. C'est le prix que valaient également, dans les listes de proscription, les faux prophètes lorsqu'ils étaient dénoncés pour être châtiés. Et c'est peut-être cela qui souligne encore l'avantage la profondeur du malentendu: Jésus est vendu au prix des imposteurs, c'est-à-dire accueilli comme une fausse monnaie. Et pour ceux qui le méconnaissent, il en est encore de même aujourd'hui. Car qui aurait pu discerner que cet homme ne faisait pas nombre avec les charlatans de quartier ? Comment percevoir, au-delà des apparences, la profondeur et la portée de la Parole de Vie ? De quelles dispositions intérieures fallait-il être pourvu pour pressentir cette valeur unique, au-delà de toute valeur ?

La mise à prix du Christ met en crise tout un système, à vrai dire: l'idée de jauger, de mesurer la valeur d'une personne humaine. « Combien tu vaux ? », « Combien il pèse en kilo-euros, celui-là ? », « Est-elle bankable (rentable) celle-là? », entend-on parfois dans nos médias. Rien ne peut acheter l'homme parce qu'il est sans prix, qu'il soit joueur de foot, trader ou immigré clandestin… Le christianisme naissant, en quelques siècles, avait fait sombrer l'institution séculaire de l'esclavage, de la marchandisation de l'humain. Prenons garde que, subrepticement, elle ne revienne par la fenêtre là où nous l'avions expulsée par la porte. Cela commence peut-être par ne pas réduire qui que ce soit à ses notes à l'école, à son salaire, à son utilité économique supposée, à la spéculation dont il ou elle peut être l'objet, à son image dans le monde. Faute de quoi, chaque jour, c'est un peu du malentendu du Christ vendu au prix des charlatans qui se reproduit, dans son éclatante absurdité, et dans toute sa dimension scandaleuse, révoltante.

Père Emeric DUPONT

Les commentaires sont fermés.