Appartenir… à qui ? A quoi ?

21 janvier 2017

Les divisions entre chrétiens, y compris au sein d’une même Eglise, ne datent pas d’hier. Elles nous font souffrir. Certainement, elles nous blessent et pour certains d’entre nous, nous désespèrent. A Corinthe, Paul s’échine à redonner le sens (peut-être rabâchait-il, comme si cela avait du mal à entrer dans les esprits, est-ce entré dans les nôtres aujourd’hui d’ailleurs ?) de ce que la vie chrétienne signifie: la vraie liberté des enfants de Dieu. J’insiste sur les trois choses qui viennent d’être dites: « vraie »… « liberté »… « enfants de Dieu ».

Pas de liberté sans vérité. Paul adopte un franc-parler qui ne lui a pas valu que des amis. Aujourd’hui, chacun de nous se sentirait-il assez disponible pour entendre des choses qui le dérangent dans ses certitudes, dans ses habitudes ?

La liberté vraie implique deux choses: ne pas posséder, ne pas être possédé. Ne s’accrocher à rien de matériel, n’être dépendant d’aucune chose, d’aucune idée. Demeurer intérieurement libre face à tout ce qui nous entoure. La longue liste des « j’appartiens à » citée par l’apôtre comme autant de cris de ralliements et de semences de divisions, sont autant de raisons de désespérer avec Paul, d’un tel aveuglement chez tous ceux qui brandissent leur sensibilité spirituelle ou idéologique comme une marque d’identité, comme une ligne de démarcation d’avec les autres.

Etre enfant de Dieu est une situation paradoxale. C’est appartenir à un Dieu qui ne s’appartient pas à Lui-même. Pour preuve, relisez ce long passage dans l’Evangile de Jean, où Jésus nous explique ses relations avec son Père du ciel. Il commence par dire que tout ce qu’il est, que tout ce qu’il a, vient du Père. Mais en ajoutant aussitôt que le Père Lui a tout donné… Tout ce qui est à l’Un est à l’Autre mais rien ne leur appartient en propre. Suprêmement dépossédés d’Eux-mêmes, ils sont riches du don de l’Autre en réponse. C’est leur pauvreté qui les enrichit, en ce qu’elle les rend accueillants en plénitude et non repliés sur eux-mêmes comme le manque, habituellement, nous y dispose hélas. C’est cette non-appartenance qui fonde la liberté en Dieu. Elle est souveraine. « Le vent souffle où il veut, rappelle Jésus, et tu entends sa voix sans savoir d’où il vient ni où il va. Il en va de même pour ceux qui sont nés de l’Esprit ». Saint Augustin le formulait d’une manière plus saisissante encore : « Aime et fais ce que tu veux ». Non pas « fais ce qui te passe par la tête », ou « accomplis ce que tes désirs enchaînés de dictent », mais « choisis, choisis vraiment ».

Et c’est à cette liberté radicale que Jésus va initier ses apôtres. « Pécheurs d’hommes » ! Rien de plus frustrant, en apparence, que d’aller saisir des personnes, de les interpeler, de les attirer à soi, pour finalement, dans le geste même du pécheur, les jeter au loin. C’est le

merveilleux symbole de la pêche dont Jésus a choisi de faire une illustration de la pédagogie de liberté à l’oeuvre dans le plan de Dieu: le pécheur ne garde pas dans ses mains le produit de sa pêche, il ne cesse de jeter ses filets pour en attraper d’autres. Et pour entrer dans cette joie de la liberté en Dieu, les premiers appelés de l’Evangile devront se désapproprier de tout ce qu’ils tenaient. Ils lâchent leurs filets, symbole de leur métier. Non pas qu’ils cesseront de l’exercer. Mais ils n’y sont plus accrochés, ils ont pris d’avec lui une certaine distance. Ils sont devenus des êtres en mouvement, libres ou en voie de liberté. Car les vieux réflexes mortifères de l’appropriation reviendront vite au galop: vantardise pour Pierre, ambition dévorante et violente pour Jacques et Jean, convoitise hélas pour Judas… Aveuglement, endurcissement, assoupissement… les apôtres ont un grand besoin, tout au long de leur compagnonnage avec le Christ, d’être travaillés de l’intérieur. Ils ont encore un long chemin à faire pour ne rien posséder et n’être possédés par rien. Jusqu’au dé-saisissement final, signe de la plus grande richesse. Simon-Pierre, interpelé par un paralytique devant le Temple de Jérusalem, prononcera alors cette phrase si riche et si puissamment suggestive: « Je n’ai rien mais ce que j’ai je te le donne, au nom de Jésus lève-toi et marche ! ». Avons-nous entendu cette phrase jusqu’à son vrai niveau de profondeur ? Simon, dépossédé de son nom et devenu « Pierre », c’est-à-dire pourvu d’un nom qui est en fait une fonction puisqu’il est devenu socle de l’Eglise naissante, l’apôtre n’a plus rien. Il est loin le temps où il s’accrochait à ses certitudes, allant jusqu’à rabrouer le maître lorsqu’il disait qu’il devait donner sa vie. Simon-Pierre, donc, affirme ne plus rien posséder. Sauf une chose: une présence, qu’à l’évidence il ne possède pas. Mais c’est parce qu’il ne la possède pas qu’il la donne, elle passe par lui, elle vient libérer celui qui était captif. Pierre offre Jésus et Jésus, à travers lui, fait son oeuvre. Il est allé chercher celui qui était au plus mal, il l’a remis debout. Mais cette oeuvre n’est pas la sienne. Nous aurions tant de profit dans notre manière chrétienne de vivre et de témoigner à méditer sur ces deux mots: pêcheur d’homme…

+ Emeric Dupont

 

 

 

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