Un peu de réflexion

La force du témoignage vrai

16 janvier 2011

Le Baptiste, de par son impact sur les foules de Judée de ce temps-là, représente un danger pour l’ordre établi. Sa contestation puissante des hypocrisies sociales, d’un ordre politique injuste, mais surtout de toute forme de fausseté de cœur, lui attire les inimitiés les plus violentes. Lire la suite »

« Pour le moment, laisse-moi faire »

9 janvier 2011

Jean le Baptiste est un homme de feu, un prophète rempli de charisme. De par sa manière d’être, de par ses gestes, ses paroles et sa personnalité si merveilleusement accordés, il n’a pu que troubler ceux qui ont eu le privilège de le croiser. Lire la suite »

Ils sont arrivés tout près de Lui, ceux qui venaient de si loin…

2 janvier 2011

Ils n’ont rien compris de Lui, ceux qui en étaient si proches…

Le prophète Isaïe, avec des siècles d’avance, avait vu juste. L’œuvre de Dieu, à travers le petit peuple choisi d’Israël, allait s’étendre aux nations du monde ; allait se révéler enfin, en la naissance d’un enfant, le visage d’un Dieu de pardon et de perpétuelle bienveillance, qui ne se lasse jamais de réveiller le meilleur que recèlent les profondeurs de l’homme. Lire la suite »

La vengeance est un plat au grand banquet de la Paix

12 décembre 2010

« Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu », entendons-nous aujourd'hui dans le livre d'Isaïe. Voilà sans doute de quoi frémir. Mais la phrase qui suit semble fâcheusement contraster avec la précédente : « Il vient lui-même et va vous sauver ». Drôle de vengeance !

Indiquons d'emblée que le mot hébreu signifie plutôt « sanction », conséquence juridique, payement… Comme l'idée d'une réponse implacable, c'est-à-dire non négociable, à une situation donnée. Même adoucie, l'idée d'une telle conséquence par a+b fait tout de même frissonner. Alors il faut sans doute expliquer cet « implacable » dont le Seigneur semble capable, s'impliquant dans une action qui ne souffre ni retard ni atténuation, un engagement de soi si total que rien ne l'arrêtera. Il ira jusqu'au bout.

IMPLACABLE, le désir brûlant du Père de faire de l'homme un reflet de Lui-même, l'image de Sa grandeur et de sa Lumière. Et qu'importe le péché originel, qu'importe l'égocentrisme, qu'importent les éloignements de cette créature si décevante qu'est l'homme, il a été choisi comme héritier. Sa conscience capable de liberté est le lieu où se dit le possible de Dieu. Il ira jusqu'au bout de sa reconquête du cœur de l'homme. Qu'importe le temps que tout cela prendra. « Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur, […] un bonheur sans fin illuminera leur visage; allégresse et joie les rejoindront ».

IMPLACABLE, l'engagement de Dieu dans ce « plan de sauvetage » de l'homme en perdition, loin de sa source, loin de ses repères, livré aux seules considérations marécageuses de son mental amoindri. Il faudra bien que la guérison vienne. Et c'est maintenant. L'homme aimant donne à l'homme l'amour de Dieu qui guérit, qui réconforte. Et si « s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds » c'est par nos mains missionnées qui disent le réconfort, qui dessinent un chemin qui traverse la croix pour offrir une vie possible. « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent », parce que c'est entre nos mains que Dieu s'est livré, nous seuls pouvons le transmettre désormais. Les mains humaines l'ont tué, les mains humaines l'offrent comme vie nouvelle à d'autres hommes.

IMPLACABLE, le jusqu'au-boutisme de cette implacable volonté de guérir l'humanité de sa souffrance originelle. Il devra entrer dans la misère de l'homme, l'habiter, la subir sans jamais chercher à fuir, l'assumer jusqu'à son terme odieux : la condamnation absurde, l'exclusion, la souffrance extrême, et le tombeau, comme un point presque final. A celui qui se noie, il ne suffit pas de crier, même très fort, qu'il est en train de se noyer. Il faut se jeter à l'eau. Dans les eaux de notre condition humaine, le Créateur a plongé en adressant Son Fils, l'Ultime Message. Il a plongé dans notre mort pour nous en faire sortir avec Lui, en nous menant sur la rive de la Vraie Vie.

IMPLACABLE, enfin, l'exigence du réveil. « Homme, qui suis-je pour toi », ne cesse-t-il de demander à longueur de pages d'Évangile. Et dans celui de ce dimanche, il interroge encore: qu'êtes-vous venus chercher auprès du Baptiste ? Est-ce son apparence ? Est-ce son prestige ? Non. Ce que vous êtes venus chercher transcende tous les paraître, vous avez répondu à la voix qui criait dans les déserts de nos vies qu'une autre vie est possible et que c'est maintenant. Et quelque chose en vous a cru que c'était vrai, qu'il fallait plonger à notre tour, là où il nous attend. Mais Jean-Baptiste ne savait pas qu'il était Jean-Baptiste. Un précurseur qui s'ignore, un homme qui se sait, qui se croit, tout petit, minuscule, au regard de Celui qui vient après lui. Mais est-ce Jésus ? Comment en être sûr ? Et nous, savons-nous toujours ce que nous faisons lorsque nous essayons d'être vrais, d'être tendres, d'être fermes ? Savons-nous quelle force nous tient debout, quelle lumière transpire, même timidement, à travers nos pauvres gestes et paroles ? Nous ne sommes que les signes d'un bouleversement qui nous dépasse, celui du Roi des rois qui, à travers nous, œuvre à la réalisation de cette immémoriale promesse: « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».

Il arrive, et c'est un miracle alors, que par nous et souvent malgré nous, le salut vienne rejoindre des êtres perdus, incapables de s'orienter, de comprendre, d'aimer, d'espérer. Nous sommes alors des « Jean-Baptiste » mais nous le sommes d'autant plus que nous penserons n'y être pour rien, car moins il y a de nous, plus il y a de Lui… Moins nous serons, et plus Il sera.

Père Émeric Dupont

Un chemin qu’Il puisse prendre

5 décembre 2010

« Le cœur de l'homme est tortueux et mauvais. Qui peut y entrer ? ». Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jérémie, le prophète (Jr 17,9). Le constat est clair : au panorama des paysages intérieurs, l'être humain est champion du monde toutes catégories de la complication et de la division, nous sommes des cœurs malades. Nous ne voulons pas le mal que nous faisons, mais nous le faisons quand même. Le bien que nous voudrions, bien sûr, nous sommes souvent impuissants à l'accomplir. De nos rêves de grandes réalisations généreuses, ou simplement de notre profond désir d'aimer au réel qui est le nôtre, l'écart est souvent insupportable. Si décevant qu'il ne reste, pour boire la pilule amère de ces mille et un petits dégoûts de soi, que les sucreries trompeuses de nos illusions sur nous-mêmes. Nous nous fabriquons un masque social, prenons des attitudes, des poses, répétons des phrases que nous avons entendues ailleurs, parlons pour ne pas dire grand-chose, et puis nous nous étourdissons! Les divertissements ne manquent pas, qu'ils soient sérieux ou futiles, nous ne cessons de nous fuir nous-mêmes.

Serons-nous consolés de savoir que rien n'a vraiment changé depuis Jérémie le prophète ? Que nous ne sommes probablement ni pire ni meilleurs que ceux qui nous ont précédés. Une chose est sûre : quelqu'un, dans le désert, a voulu mettre le feu à ces cœurs fatigués d'eux-mêmes. Avec sa voix d'ouragan et ses cris de lion, Jean est venu réveiller les âmes attiédies de ses contemporains. Avec la vraie force dont seule une véhémente douceur est capable, il a touché du doigt là où, souvent, cela fait le plus mal. Complaisance, affadissement, mesquinerie, combines avec soi-même, assoupissement des consciences… la liste est longue. Mais il est venu montrer sans juger, il est venu ouvrir un chemin totalement inédit. Non pas un chemin de l'homme vers Dieu. Car ce Dieu que nul n'a jamais vu, qui saurait dire où le trouver ? Par quels endroits passer pour le débusquer ? Il ne le sait que trop, le Dieu d'Abraham n'est saisissable ni par un nom ni par une image. Toujours au-delà, toujours plus grand. Alors c'est Lui qui viendra. Depuis Jean-Baptiste et Jésus, il sera même essentiellement qualifié ainsi : « Celui qui vient »… Celui dont la caractéristique principale est de venir. Mais s'il vient, où va-t-il ? Que cherche-t-il ? C'est un Dieu éperdu d'amour. Il vient reprendre ce qu'il avait perdu, mais il vient reconquérir cette place forte non comme un guerrier mais comme un fiancé, avec une douceur et une délicatesse extrêmes, par la persuasion. « Je l'emmènerai au désert et là je murmurerai à son cœur comme un fiancé parle à sa fiancée » s'exclame le prophète Osée. Ce qu'il cherche avec une telle ardeur lorsqu'il s'écrit « homme où es-tu », c'est ce cœur divisé et malade, tortueux, décevant, inconstant. Avec la clairvoyance aiguisée qui caractérise les prophètes, le Baptiste entrevoit le drame: ce Dieu qui vient à l'homme qui est inaccessible à Dieu, enfermé dans ses contradictions internes, incapable de se laisser faire. Dans une formule ramassée, percutante comme un coup de poing, Jean interpelle les consciences : « préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route! ». Et comme signe de cette nouvelle manière de vivre, il va proposer la plongée dans ce fleuve qui sépare les terres païennes de celles offertes par Dieu à Israël. Un baptême de conversion du cœur qui commence à une frontière, sur cette ligne étroite qui passe en plein milieu de nous, entre la part avide et idolâtre et la part déjà rachetée et sauvée, car il y a en nous cette même frontière, aussi large que le plus large des fleuves.

Aplanir la route, le laisser entrer, faire tomber les barrières entre lui et nous. Elles sont nombreuses. J'en citerai quelques-unes, elles résonnent comme des slogans mortifères: « Je n'ai besoin de personne », « il n'y a pas de droit à l'erreur », « je n'ai rien à me reprocher », « le plus fort gagne », « pardonner c'est avoir le dessous », « croire c'est renoncer à penser par soi-même », et la liste pourrait s'allonger à l'infini. Ces petites incantations intimes que nous nous répétons à l'envi sont autant d'obstacles sur la route du Très-Haut, la route qui le mène jusqu'à nous, jusqu'au cœur de nous-même, dans cet intime dont la porte est bien souvent fermée, et c'est d'abord au premier chef à nous qu'elle est fermée. Là où il aimerait tant entrer, là où je suis moi-même, sans masques ni fard, vulnérable comme l'enfant qui vient de naître. Le Père vient retrouver son enfant perdu mais l'enfant perdu a fini par se retrouver barricadé, croyant se protéger, de mille et une attitudes de rejet de cette vulnérabilité ressentie comme une faiblesse, qui est pourtant la manière même dont Dieu a choisi de s'approcher de nous. Et puisqu'il vient, puisque c'est lui qui fait la route, rendons-la plus facile cette route, laissons-le entrer et tant pis si tout en est chamboulé, car c'est ainsi que naît la vie.

Père Émeric Dupont

L’heure du réveil a sonné, c’est maintenant

28 novembre 2010

« Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra »… à vrai dire cet appel est gênant si on le prend au sérieux. Veiller jusqu'à ce qu'il revienne, dit-il ? Veiller combien de temps ? Demain ? Après-demain ? Et le jour suivant ? Etre attentif, regarder ce qui se passe, TOUT ce qui se passe. Ne fermer les yeux sur rien, ni par lâcheté ni par compromission: aucune injustice, aucune mesquinerie, aucune violence du fort contre le faible… même (et surtout !) les nôtres. Comme les prophètes n'ont jamais cessé de le dire en leur temps: il y a urgence à veiller ! Les remparts de la dignité humaine, du respect de l'autre comme s'il était un autre nous-mêmes, les fragiles remparts de l'amour désintéressé, tous ces remparts qui séparent la civilisation de la barbarie, sont menacés. Attaqués qu’ils sont sans cesse et sans pitié.

Un enfant maltraité, une personne âgée ou dépendante humiliée, un démuni que des administrations ballottent sans ménagement d'un service à l'autre, une personne accusée injustement, et toutes les victimes de mille et unes vilénies dont l'homme est parfois capable envers l'homme… ce sont cela, les attaques qui menacent non seulement la paix mais aussi la cohérence d'un monde où le vivre-ensemble serait possible, non par contrainte mais par choix, non pas seulement comme un endiguement légal de la violence naturelle des humains, mais comme les prémices d'une civilisation de l'amour que l'Eglise appelle de ses voeux. La cité des hommes a besoin, grand besoin de veilleurs, de prophètes, d'éveillés. Je ne dis pas d'être hors du commun, capable à eux seuls de sauver le monde, non. Juste des veilleurs, qui à la faible lueur de leur lampe voient arriver de loin les assauts les plus sournois et qui disent: ce n'est pas normal, c'est une anomalie, c'est injuste. Ces veilleurs n'ont ni besoin d'être forts, ni d'avoir la voix qui porte loin. Il suffit qu'ils soient là et qu'ils se tiennent debout, qu'ils mettent toute leur énergie à refuser la complaisance envers le mal, qu'ils désirent autant qu'il est possible offrir au monde la faible lumière dont ils sont porteurs et qui ne vient même pas d'eux. Les veilleurs n'ont pas besoin d'être des héros, ils ont juste besoin d'être attentifs au monde tel qu'il est, qu'ils ne cherchent pas à en fuir les graves incohérences dans des distractions artificielles, et que par toute leur vie ils disent « non! », ce n'est pas le monde que Dieu désire faire naître. Les veilleurs n'ont pas besoin d'être exceptionnels, il suffit qu'ils donnent des yeux grands ouverts à leur désir d'aimer.

Car l'aube arrive, c'est une promesse. Au coeur de la nuit, alors qu'on ne voit pas encore les prémices du jour, elle est déjà là. Un veilleur, c'est aussi quelqu'un qui regarde plus loin. Ce n'est pas un utopiste. Il ne dit pas « ça ira bien demain », il dit « ça peut aller mieux aujourd'hui, ça passe par nos pauvres mains ». C'est un artisan aux mains vides. Il n'a rien d'autre à offrir que sa pauvre espérance qui ne sait même pas de quoi sera fait le Royaume de Dieu tant attendu. Isaïe en parle pourtant: « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s'entraînera plus pour la guerre ». La violence désarmée, enfin. L'extraordinaire vitalité de l'homme enfin convertie en puissance de vie et d'amour, la fin de ce gâchis des guerres et des conflits, des rancœurs, des convoitises destructrices, des manques d'amour héréditaires qui ont démoli tant et tant de vies. « C'est pour quand? », me direz-vous. Un veilleur selon l'Evangile vous répondra: « c'est pour maintenant ». C'est dans tes mains. C'est ta mission. Tu peux en dessiner l'esquisse par ta propre vie. Oh, ce ne sera qu'une esquisse, une idée très lointaine de ce que ça peut donner à grande échelle. Mais tu peux vivre comme un citoyen de ce Royaume ici, au coeur de ce monde. C'est un Royaume qui est là dès que deux ou trois désirent vivre de ses lois. Il est fort et fragile. Il s'évanouit comme un rêve dès qu'une force aveugle, une parole mesquine, un regard malsain, en brouille les contours. Il ne sera jamais le fruit d'une idéologie ou d'une révolution humaine, il vient de plus haut que le coeur de l'homme et le traverse comme une parole qui vient au monde pour le transformer autant qu'elle veut nous transformer nous-mêmes. Car le Royaume c'est d'abord nos vies transformées, radicalement. Par l'Evangile enfin entendu dans toute sa profondeur, avec les oreilles du coeur. Par la présence sacramentelle du Christ, qui par sa simple présence au milieu de nous fait exister le Royaume, c'est-à-dire un lien ténu de fraternité indestructible et inconditionnelle dont il est lui-même le coeur. St Paul l'avait bien compris, lorsqu'il affirmait que le Royaume est une réalité si concrète et si présente à nous-mêmes, que la joie d'une telle nouvelle devrait à elle seule nous donner la force de surmonter les forces contraires, elles sont nombreuses. C'est vraiment LA Bonne Nouvelle dont notre humanité a besoin pour effectuer cette « conversion », ce changement de cap, que nos initiatives individuelles peuvent déjà initier, même d'une manière infime. Nous n'avons pas besoin d'une humanité parfaite mais d'une humanité qui écoute, enfin disponible à cette parole de vie, inaugurale comme un premier matin: « C'est le moment, l'heure est venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu'à l'époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière ».

Père Émeric Dupont

UN NOUVEAU RÈGNE

21 novembre 2010

UN NOUVEAU RÈGNE

Notre liturgie nous donne d'abord à contempler David, premier roi selon le cœur de Dieu ; autour de lui convergent les tribus d'Israël qui proclament que ce jeune berger est bien ce roi qu'ils reconnaissent. Officiellement, à Jérusalem et pour la cour, c'est encore Saül le roi. Un usurpateur, un roi tels que les hommes les chérissent et dans lesquels souvent le monde se reconnaît assez pour les porter au pouvoir : conquérant, égocentrique, infantile, impulsif, désireux de se servir d'abord lui-même. Saül va encore régner quelques temps mais déjà il ne règne plus. Le règne de David commence alors qu'il est encore invisible. Un petit nombre l'a reconnu. Mais un ordre nouveau se prépare, comme un feu couvant sous la cendre.

Et nous voici au coeur du renouvellement de notre temps liturgique. Dimanche prochain, et au coeur des dimanches qui suivront, nous commencerons par la fin… puisque nous nous tournerons vers Celui qui vient et c'est à partir de cette promesse que nous accueillerons la Parole comme le lieu de la proclamation du Règne. Et quel Règne ! En lui se renversent toutes les valeurs qui nous semblaient solides : puissance, pouvoir, autorité… du vent tout cela, un souffle qui passe. Car en vérité il n'y a pas d’autorité qui puisse tenir, autre que celle qui fonda cet univers, les lois physiques d'une extrême finesse et complexité, qui le mirent en marche et lui conservent sa cohésion, et enfin, l'oeuvre ultime, que de tout cela naisse une conscience qui puisse répondre à l'appel de son nom « me voici », petit univers au sein du grand cosmos, joyau pas moins impressionnant que l'écrin qui l'abrite. Et nous sommes des milliards ! L'autorité et le pouvoir selon les hommes ne sont qu'une folie, une chimère. Elle prétend régner sur un monde que nous connaissons si mal, sur des intelligences et des consciences au moins aussi éclairées que celle du gouvernant.

Il suffit de lire ces textes poignants de l'Ecriture pour pressentir que le vrai pouvoir, que la vraie autorité, sont ailleurs. Respectueux, infiniment respectueux des lois de la création qu'il a lui-même instauré, il se tient en retrait. Car c'est un règne qui dit « Je T'Aime », et qui ne dit que cela. Et cela commence dans la manière même de venir au monde, comme sur la pointe des pieds, dans une humanité si fragile dans sa dépendance qu'un rien peut la détruire. L'humanité des exclus, qui n'ont pas un seul endroit pour les accueillir. L'humanité des pécheurs qui au Jourdain vont reconnaître leur histoire cabossée pour que Dieu puisse en raviver le désir de beauté et de vérité. L'humanité des condamnés par l'injustice des hommes, des torturés de tous les temps dont les cris ont été oubliés. C'est fou comme Jésus a su incarner ce qu'est l'homme du commencement à la fin, dans tous ses états. Et là, sur la croix, la voici enfin révélée à elle-même, cette humanité clouée à son impuissance, incapable de se sauver elle-même, vouée à une mort qui fait ricaner ceux qui ont peur et qui dissimulent leur frayeur sous des sarcasmes. Et voilà l'abîme, l'abîme de néant et d'horreur que Dieu lui-même, en pleine conscience, a librement choisi de traverser. En étant homme de la crèche à la croix, Jésus nous tend un miroir. Il nous montre notre inéluctable trajet jusqu'au scandale de l'absence. Et pour quelques-uns, très vite, l'évidence se met à parler: cette mort n'était pas l'échec d'un projet humain mais l'Acte I d'une offrande d'Amour, un « Je T'Aime » offert, corps et âme, dans les blessures et les outrages, défiguré d'avoir été si incompris. Il est mort comme un moins que rien, mais c'était un roi, c'était notre Roi.

Et tandis que la marche du monde a très vite repris, deux mille ans ont passé et nous voici au coeur de ce règne qui est là, et qui vient, et qui ne cesse de venir. Car il vient comme il a commencé, sur la pointe des pieds, à chaque fois que l'humanité est rendue à sa beauté oubliée, à chaque fois qu'un seul de ses petits se remet debout, ose, sourit, espère, crée, pardonne. Il est pour toi, ce Règne, toi le malade souffrant seul, sur ton lit. Pour toi le sans logis, le sans-papiers, trimbalé de lieux en lieux, toi l'incompris, le rejeté, le déprimé, le dépendant, toi qui depuis ta jeunesse a fini par croire ceux qui disaient que tu ne valais rien, toi qui ne sais plus où tu en es, qui crie dans l'obscurité « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mas-tu abandonné ? »… Toi qui chaque jour meurt un peu plus, toi qui a traversé des épreuves qui ont laissé des marques sur ton corps et ton âme, toi qui a été tant déçu par les paroles des autres que même la Parole de Dieu te fait douter qu'il y ait pour toi un chemin qui mène à la vraie vie… Il est venu pour toi, ce Roi. Il a vécu tout cela. Il est ton frère à tout jamais. Pas une fraternité de gens choisis et impeccables, un petit cercle d'entre soi, mais une fraternité de galères et de joies, un corps à corps avec le monde qu'il ne cesse de partager avec toi à chaque instant où tu y es disponible.

Il est là, l'ultime témoignage, avec ce corps brisé et cloué au bois de l'absurdité du monde: ce Dieu-là ne veut que ton bien. Il le respire, le pense, le désire, par tout ce qui fait sa vie immense et sublime. Que tu vives et que vives de tout ce qu'il veut t’offrir, voilà semble-t-il, nous dit l'Evangile, son idée fixe. Car l'épisode de David nous offre la magnifique métaphore de ce règne plus grand qu'il ne faisait qu'esquisser. Un petit groupe représentant les douze tribus, symbole de la totalité du monde, vient reconnaître celui dont tant de gens ignorent encore qu'il est Roi, qu'il est choisi. Et tandis que dans la folie des jeux du pouvoir les intrigues continuent, berçant des peuples entiers dans l'illusion que le vrai pouvoir est sur la terre, aux mains des puissants, souffle un grand vent de liberté et de courage dans les cœurs de ceux qui veulent reconnaître l'autre règne qui a commencé et qui travaillent pour lui, accourant autour du Roi comme ils l'ont fait pour David en lui disant cette phrase merveilleuse qui résume tout: « nous sommes de même sang ».

Père Émeric Dupont

Même au milieu des ruines, il y a des fleurs qui poussent

14 novembre 2010

Le Temple en imposait, à Jérusalem. C'était sans doute le symbole d'un ordre puissant, d'une civilisation qui semblait indestructible, qui plus est fondée sur une Alliance avec Dieu lui-même, sensé habiter le Temple et le protéger. Mais Jésus promet le chaos, les bouleversements, l'écroulement. Ce qui semble en apparence indestructible s'écroulera comme s'il n'avait jamais existé, instantanément. Rien de matériel ne tient pour toujours, tout passe. La civilisation où vécut le Christ nous apparaît comme un lointain souvenir, presque comme une autre planète. Et pourtant, il y a 2000 ans, rien ne semblait pouvoir déboulonner l'empire romain. Rien ne semblait devoir détruire le Temple de Jérusalem, symbole d'une certaine manière de prier Dieu. Et voilà que tout cela n'est plus.

Personne n'est à l'abri de la crise, de l'effondrement d'un système. Nos grandes multinationales nous l'ont prouvé. Mais je veux parler également des petites crises, des crises à l'échelle de l'individu. Elles arrivent sans prévenir : crise de l'âge ou d'un cycle, crise du dialogue, de la confiance, de la foi, des relations, crise dans son travail ou dans ses choix de vie… un tsunami qui peut prendre bien des formes et qui balaye tout sur son passage, à tel point que rien ne paraît sûr, absolu, puissant. Nos points d'appui vacillent. Et ces ruptures nous paraissent être, quand elles sont là, comme une petite fin du monde, en tout cas la fin d'un monde, le nôtre, puisque rien ne sera plus comme avant, lorsque ce sera fini et qu'il faudra repartir de quelque part. Sur quoi je tiens ? Sur quels points d'appui ? Qu'est-ce qui est certain ? Mon emploi ? Mon mariage ? Mes amitiés ? Ma foi ? L'image que je donne de moi et qui me rassure ou me désespère ? Rien de tout cela n'est vraiment solide. Mais Jésus dit qu'il y a la vie dans l'écroulement, une vie possible parce qu'accueillie malgré tout. « Pour toi, je me ferai parole », il veut que nous tenions par la parole qu'il nous offre, la Parole qu'Il Est, pour nous. Lorsque les repères vacillent, il est bon de se tourner vers un lieu où une parole solide nous est donnée, une parole sur laquelle on sait pouvoir compter. Quelque chose qui ne s'écroulera pas. , qui ne fluctuera pas. Eh bien dans la crise qui fut celle de la fin du Temple, qui ouvrit une ère de persécution inouïe pour les premiers chrétiens, Jésus fut peut-être la seule solidité sur laquelle beaucoup purent s'appuyer. Sa Parole ne fit jamais défaut à ceux qui décidèrent de la mettre au centre de leur vie bouleversée, comme un œil du cyclone au milieu des bourrasques. Ils crurent, ces disciples des premières communautés, qu'au milieu d'un monde qui partait en ruines, Christ demeurait, immuable, paisible, rayonnant. Et qu'en lui toute crise pouvait devenir itinéraire, passage, Sa Parole nous rend la parole, elle accueille nos cris et nos larmes, nos silences et nos exultations. Elle dessine en clair-obscur le visage d'un Dieu qui dialogue, qui écoute, qui tient parole, qui se tient là, au seuil de nos certitudes, sur cette ligne de crête étroite et ténue que nous appelons la foi. Là où rien n'est sûr, mais c'est là que miraculeusement, ça tient. Parce que ça ne repose sur rien d'humain, sur rien de logique. Fragile espace de la foi, qui peut tenir s'il ne veut rien détenir, s'il ne prétend à rien, s'il se fait accueil, demande, relation. « Pour toi, je me ferai Parole », cela veut dire que j'habiterai ta vie, que je ferai de ta détresse un chemin qui mène à la vie, et de ta traversée un signe pour le monde, un témoignage de ma Vie plus forte que la mort. Inutile de se demander pourquoi, dans les tourments de la vie, l'un est pris et l'autre est laissé, certains sont épargnés et d'autres non. L'Évangile ne répond pas à cette question. Il dit simplement que la vie est possible même quand tout n'est pas idyllique, quand la crise survient, quand des systèmes de valeurs, des façons de voir la vie ou les autres s'écroulent. Quand il n'y a plus que les ruines de ce que nous pensions être éternel. Et c'est souvent là, entre deux pierres couchées, au milieu d'un spectacle souvent absurde et scandaleux, que pousse timidement la fleur que nous n'avions même pas vue, et qui redit que la vit jaillit même où plus rien ne tient. Il n'y a pas d'impasse en Jésus-Christ, il n'y a que des passages.


Père Emeric Dupont

Le Dieu des vivants

7 novembre 2010

La question-piège posée par les sadducéens est loin d'être idiote: pourquoi ou pour qui vivons-nous ? Quel est le but ultime de cette existence, de nos dons personnels, de nos attirances, de nos répulsions ? Pour ce groupe de croyants de l'époque du Christ, et ce courant a disparu avec le Temple dès le 1er siècle de notre ère, il n'y a pas de résurrection. Cela veut dire, qu'après le Schéol (le séjour des morts) il n'y a pas d'espérance possible de reprendre corps, de ré-habiter cette terre mais autrement, de reprendre souffle et vie selon une nouvelle manière de nous regarder et de communiquer, libérée de la corruption et de l'illusion. Une manière vraiment fraternelle. Alors s'il n'y a rien à espérer du Schéol (toujours selon nos amis sadducéens), à quoi bon vivre, si ce n'est pour jouir de la vie présente, et d'en jouir pour elle-même ? Le néant de la mort nous pousse à procréer pour laisser après nous une descendance qui nous « perpétue » en quelque sorte. Elle est le signe authentique de la bénédiction divine, cette fécondité charnelle, dans un tel ordre d'idée.

On pourrait croire, à entendre le Christ, et si l'on comprend mal que c'est à eux, les sadducéens, qu'il s'adresse, que le mariage n'est pas une proposition bien exaltante: elle serait pour les « fils de ce monde » c'est-à-dire pour des gens qui ne sont pas « spirituels ». Une mauvaise interprétation de cette phrase a fait des dégâts, vous vous en doutez ! Les siècles passés ont parfois laissé entendre que le célibat consacré serait « supérieur » au mariage, et même parfois dans l'Eglise, quelques nostalgiques de cette théologie médiévale incertaine vous tiendront encore ce discours. Mais le Christ parle à ceux qui misent tout sur cette obsession de procréer qui était celle des sadducéens. Il tente d'ouvrir leur regard à l'idée que cette vie présente est semence, et seulement semence. Ce qui est vécu ici est une esquisse, ce qui n'en fait ni une vie sans valeur, ni un absolu. Il n'y a pas d'arrière-monde « où tout ira mieux » qui justifierait de ne pas vivre ici-bas, ou pire de rechercher la mort pour le fuir. L'argument habituel du soupçon à l'égard de la peur de la mort ne tient pas, ici. Tout se joue ici car notre terre est le lieu de l'ensemencement. La semence c'est nous. La récolte c'est l'autre versant où ce qui est semé rejaillit mais porté à un plus haut niveau d'existence, une existence d'être spirituels avec un corps. Une manière de vivre transfigurée, donc, ce que nous retrouvons dans d'autres Evangiles lorsque le Christ dialogue sur cette question: de l'autre côté de la vie, nous aimerons autrement, sans dépendance, sans égoïsme, sans attachement excessif, sans faire de notre petit moi étriqué la chose unique à aimer et à combler. La promesse, c'est une capacité à regarder selon le regard même de Dieu puisque la promesse c'est d'être plongé dans une relation d'amour éternelle, entre le Père et le Fils. Cette relation d'amour s'appelle, vous le savez déjà sans doute, l'Esprit Saint, celui qui nous est donné au baptême et qui se déploie dans les 7 sacrements. Pour aimer, justement, pour parvenir déjà, dès ici-bas, à cette plongée totale, à cette renonciation à une ancienne manière de vivre et d'aimer, en y étant converti de l'intérieur, par grâce. C'est ce renouvellement que Jésus appelle de ses voeux, ce choix radical d'entrer dans une vie nouvelle qui est l'éternité mais qui commence ici. Alors cette vie d'ici apparaît comme autre chose qu'un simple tombeau, une fatalité à fuir ou un absolu dont il faut profiter avant le néant, elle apparaît comme une sorte de tremplin, quelque chose qui vient d'ici et qui envoie plus haut. Mais sans adhérence à ce mouvement qui part de la terre, rien ne peut nous propulser plus haut. Le tremplin, c'est ce qi est efficace quand il y a un élan, et quand cet élan part de loin, qu'il est pris totalement, avec un corps tendu vers l'objectif et un esprit concentré et disponible.

Une invitation à viser haut, en somme, c'est-à-dire à viser ici ce qui est essentiel: les relations d'amour que nous construisons selon l'Esprit, selon la logique d'éternité.

Père Emeric Dupont

Célébrer une messe pour nos défunts : le plus beau des cadeaux.

31 octobre 2010

« La mort vaincue, les fils de Dieu ressusciteront dans le Christ et ce qui fut semé dans la faiblesse et la corruption revêtira l'incorruptibilité. La charité et ses oeuvres demeureront, et toute cette création que Dieu a faite pour l'homme sera délivrée de l'esclavage de la vanité ». Ainsi, le Concile Vatican II dans le très beau texte « Joie et espérance » (1965), nous redit l'espérance chrétienne. Les misères physiques et morales de notre ici-bas ne sont que l'esquisse d'une vie dont le dévoilement plénier est encore à venir, mais nous en jetons les bases dès maintenant. Lorsqu'un être cher nous quitte, l'angoisse est parfois perceptible, ou du moins le questionnement : « s'il y a un après, sera-t-il heureux ? »… L'Eglise croit, elle, que l'Amour divin est Tout-puissant, qu'il peut guérir et transformer nos natures encore abîmées par l'égocentrisme, peinant à aimer, souffrant de ne pouvoir s'oublier un peu pour l'autre. Cette ultime transformation de l'âme pour qu'elle devienne capable d'hériter pleinement de la lumière et de l'amour divins, la tradition l'a appelée d'un mot qui fait dresser les poils des plus anciens, peut-être parce qu'il a été trop

longtemps revêtu de tristesse et de culpabilité : le purgatoire. Il est aussi absurde de redouter le purgatoire qu'il le serait de se lamenter sur le fait qu'une chenille devienne papillon ! L'ordre des choses est que nous redevenions ce que nous avons perdus : enfants du Père, héritiers, comblés de grâce…

Parce que l'Eglise y croit, elle le vit. Elle s'associe, au cœur de la Messe, à la prière de l'Eglise invisible, avec qui toute Eucharistie est toujours célébrée. C'est une belle et antique tradition que de confier, au cœur de l'Eucharistie, le cheminement spirituel de nos défunts. Nous savons tous que la prière de l'Eglise est trinitaire. Par le Fils et dans l'Esprit qui nous unit à Lui, nous nous tournons vers le Père avec confiance. En confiant le nom de nos chers défunts, nous remettons entre Ses mains l'âme immortelle qui a quitté ce monde et qui désormais se prépare à vivre de la vie divine. L'âme abandonne ainsi ses impuretés et toutes les logiques contraires à l'Amour selon lesquelles elle a vécu. La grâce de Dieu ne s'achète pas. Une intention de Messe ne peut rien « coûter ». Beaucoup de ceux qui ne peuvent donner l'offrande habituelle, qui permet à l'Eglise, et notamment aux prêtres, de vivre, demandent quand même que le nom de leur cher défunt soit cité. L'intention de Messe n'est pas un service payant, c'est une manière de s'associer à l'Eglise qui prie, et de s'y associer aussi matériellement. Demander une intention de messe à l'Eglise, c'est accompagner nos défunts dans cet itinéraire ultime et leur manifester ainsi notre amour et notre attention, même au-delà de cette vie. C'est, de tous les cadeaux, le plus beau et le plus digne que l'on puisse imaginer.
Père Emeric Dupont