Comme un commencement

23 avril 2016

Les derniers instants vécus ensemble, les dernières paroles échangées, acquièrent une force insoupçonnée lorsqu’un être aimé nous quitte.

Comme si les derniers mots et les dernières paroles avant la mort disaient quelque chose de plus définitif, presque comme une épitaphe. Alors que l’étau du piège politique se resserre sur Jésus de Nazareth, que tout semble au contraire faire figure d’impasse, alors qu’il va se trouver capturé sans espoir de retour en arrière, il nous parle d’accomplissement et de gloire. La gloire de Dieu ce n’est pas de triompher des hommes et de leurs complots pour garder le pouvoir, ce n’est même pas d’imposer par la force un nouveau modèle politique, aussi juste soit-il. La gloire de Dieu c’est que Dieu soit demeuré homme en Jésus Christ jusqu’au bout, que ce fil ténu et improbable n’ait jamais été rompu. La gloire de Dieu en Jésus-Christ, c’est cette fidélité au meilleur de soi, même au travers des ténèbres les plus opaques et les plus scandaleuses. La gloire de Dieu, c’est cet humble repas de Pâques soudain transfiguré par la promesse de la souffrance et de la mort. Désormais, en son nom et parce qu’il l’a voulu ainsi, ce sera cette chair suppliciée et ce sang versé sur la terre qui abreuvera et nourrira les hommes de tous les temps à venir jusqu’à leur consommation finale.

Etrange gloire que cette gloire secrète que l’on ne peut saisir qu’en entrant dans le chemin de dé-saisissement qui fut celui de Jésus. Ce qui à des yeux extérieurs apparaît comme un échec retentissant et la fin du projet divin, si projet divin il y avait. Mais ceux qui ont partagé ce repas avec lui n’ont pas pu, au fil des mois et des années après sa mort et sa résurrection, tisser d’étranges rapprochements. Ce repas, c’était une fin, mais c’était aussi le commencement. C’était l’inauguration d’une intimité nouvelle, inédite. Une communion d’esprit et de chair entre l’homme et son Dieu, mais à front renversés. L’homme se savait dans la main de Dieu, il découvre dans un vertige le créateur des mondes dans sa propre main, à lui. Sans l’avoir mérité. Sans même toujours le comprendre.

Ce repas inaugural, aube éblouissante, révèle l’un des moyens choisis par Dieu lui-même pour entrer en l’homme et y demeurer. Et puisque l’homme est compliqué et que son cœur est malade et divisé, il en faudra plusieurs, de ces moyens d’entrer et de demeurer. Il faudra la pédagogie et la patience même de Dieu pour ré-installer, jour après jour, dans l’humble quotidien, cette unité perdue depuis les origines.

L’homme nouveau naît de cet ensemble d’événements que nous appelons Pâques. Il sort de ces événements de bruits, de larmes et de sang, comme un petit enfant qui sort des entrailles maternelles dans le bruit, les larmes et le sang. Pâques est une naissance pour l’homme. Il se découvre tout à coup ignorant, celui qui entre dans cette vie nouvelle. Il découvre que l’ordre du monde voulu par Dieu est radicalement différent de l’ordre blessé, injuste et perverti selon lequel le monde tourne, dans sa folie. Le monde tenu fermement par Dieu et l’ordre sans Dieu cohabitent désormais depuis Pâques. Mais le monde selon Dieu, appelons-ne le Royaume, est intime au cœur de l’homme, il est là où l’homme accepte de ne pas régner lui-même pour que ce soit Dieu qui règne. Un monde remis à l’endroit, mais un monde encore à venir. Un monde où l’homme réapprend à regarder, à vivre et à aimer selon le cœur de Dieu, un monde où l’homme comme l’enfant réapprend tout, fait des erreurs, tombe, pleure et se relève. « Mes petits-enfants » dit Jésus, comme il savait exactement comment tout cela se passe. Avec lui, sans relâche, réapprenons tout : à vivre, à aimer, à agir, et tout cela dans a lumière de Pâques, comme un commencement.

 

Emeric DUPONT

 

 

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