De l’opinion générale à l’engagement personnel

18 juin 2016

Tout le monde a des opinions sur Jésus le nazaréen. Tout le monde a un jour, quelles que soient ses conceptions métaphysiques ou religieuses, pris position face à ce qu’il représente. Et ne pas prendre position, c’est encore se positionner. N’importe quel être humain sur la terre peut penser des choses sur cet homme : grand penseur, modèle de conduite, fondateur de religion, anti-conformiste, prophète, messie, Fils de Dieu… Les opinions circulent, se croisent, parfois s’affrontent, débattent, y compris dans notre propre Eglise.

Mais le second pas que Jésus invite à faire peut donner le vertige. En renvoyant les disciples à eux-mêmes, il leur montre qu’ils peuvent, eux aussi, être otages des opinions publiques, des modes et des « on dit ». Il a existé, il existe encore, le risque d’adhérer au Christ parce que beaucoup de gens l’on fait, ou parce que ce serait un fait majoritaire, donc confortable. Remarquez qu’en ce moment ce risque-là représente un danger plutôt faible. Peut-être les disciples ont-ils suivi d’abord un groupe conséquent et attirant par son dynamisme. Ils ont adhéré « par procuration », en se raccrochant à la foi des autres. Cette identité collective n’est pas encore une profession de foi. C’est au mieux un ressenti, voire une simple idée, une idée parmi tant d’autres, une idée comme celles qui remplissent le monde. Beaucoup croient qu’il suffit d’avoir la bonne opinion sur le Christ pour avoir la foi. Qu’il suffit de « bien penser » pour être uni à Lui.

Alors forcément ce renvoi vers soi-même peut produire un choc chez ceux qui l’entendent. Car nul ne peut, s’il veut aller plus loin avec Jésus, faire l’économie de ce questionnement personnel. « Pour vous qui suis-je? » renvoie à un vécu. Ne peuvent répondre à cette question d’une manière satisfaisante que ceux qui ont partagé quelque chose de cette identité questionnée. Celui qui vous interroge n’est pas qu’un prénom ou un visage, il est une histoire. Quelle est mon histoire avec lui ? Moins on a vécu de chose, plus il est compliqué d’y voir clair. A vécu incomplet, réponse incomplète. « Tu es le Messie de Dieu », la réponse de Pierre, est une réponse de bon élève. Il lui manque, pour être complète, la traversée ultime que va être la croix et son autre versant, la résurrection. Pour dire le Christ à partir de soi et pas seulement avec des opinions, même justes, il faut avoir traversé avec Lui. Ou comme il le dit lui-même, avoir accepté de mourir à son ancienne vie pour entrer dans la sienne, la nouvelle.

Bien-sûr, l’opinion sur le Christ est le fruit d’une histoire sans laquelle la foi serait impossible. Bien-sûr qu’Israël attendait le Messie et que c’est au nom de cette foi que Pierre a pu s’arrimer

et risquer les mots de sa foi. Bien-sûr que sans les catholiques qui nous ont précédés nous ne pourrions nous rassembler et dire tout cela ce matin. Mais il existe un pas nécessaire, indispensable, qu’il nous faut encore franchir, ce passage d’une foi générale sous forme d’opinion à la foi que j’ai fait mienne. Nous avons longtemps cru qu’il suffisait que tous croient d’une foi générale qui tenait chacun dans un ensemble. Cela s’appelait la chrétienté. Peut-être avons-nous fait fausse route. Peut-être avions-nous un peu remisé aux oubliettes ce « pour vous » sans qui cette foi ne demeurera que l’expression d’une généralité. Si ma foi ne peut exister sans LA foi, LA foi sans l’expression de la mienne, sans l’expression d’un vécu avec le Christ qui fonde le « pour moi » de chaque vie de foi, devient une coquille vide, qui pense bien, qui pense comme il faut penser, mais qui ne va pas plus loin.

Les disciples ne deviendront des croyants pleinement unis à leur Maître qu’après la Pâque qui les mènera de leur vie d’avant à la vie avec le Christ, à la vie EN Christ. Cette vie devant laquelle mon ancienne existence doit progressivement mourir, s’éteindre, pour que l’autre, qui est la seule vraie, puisse être. Pierre fait une bonne réponse ce jour-là, à la question que Jésus pose. Mais la vraie réponse, la seule réponse qui puisse bouleverser sa vie, il la donnera plus tard en disant « Seigneur tu sais tout, tu sais bien que je t’aime ». Et surtout, surtout, lorsque devant le Temple après la Pentecôte, saisi par la foi dont il a fait sa vie, et plus seulement une opinion, il répondra par l’engagement de tout son être transformé par la pleine adhésion au Christ, en disant au paralysé: « tout ce que j’ai je te le donne, au nom de Jésus Christ, lève-toi et marche! ».

+ Emeric Dupont

 

 

 

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