LA PLACE DE SERVITEUR : LA MEILLEURE !

20 octobre 2015

La liturgie de la Parole nous propose ce dimanche un passage du livre d’Isaïe extrait du 4ème chant du serviteur de Dieu. Ce texte nous parle du « serviteur souffrant ». La question a été posée : qui est ce serviteur inconnu ? Le prophète rejeté par les siens ? Un roi fidèle au Seigneur qui aurait été renversé ? Un simple fidèle persécuté pour sa foi ? Le peuple en exil sur une terre étrangère ? Tous les croyants qui connaissent des situations difficiles peuvent s’y reconnaître. Mais nous, chrétiens, nous voyons dans ce personnage une annonce de Jésus serviteur de Dieu. Ces quelques lignes nous invitent à réfléchir sur le sens de la souffrance et du sacrifice. Tout d’abord, une mise au point s’impose : la souffrance et la maladie sont un mal qu’il faut combattre par tous les moyens. La souffrance en elle-même n’a pas de sens. En revanche, la personne qui souffre se trouve devant un choix. Au lieu de se laisser écraser et détruire par cette épreuve, elle peut s’en servir pour sortir de son isolement.

Que faisons-nous des sentiments de possessivité qui nous empoisonnent la vie ? Nous pensons que posséder règle tous les problèmes. Ah, si j’avais… ! Et souvent si nous nous rêvons autrement « ah si j’étais » c’est d’un avoir qu’il s’agit… Quand nous rêvons de nous dans une situation meilleure, nous nous rêvons rarement plus serviteurs, plus aimants, plus dépouillés du superficiel. Au contraire, nous nous rêvons nantis, pourvus, gavés. Il n’en est pas autrement pour Jacques et Jean : « Accorde-nous de siéger l’un à ta droite et l’autre à ta gauche dans ton Royaume » (Luc 10. 37). Ils ont bien compris que la gloire de Jésus n’est pas celle dont parle le monde. C’est celle qu’ils ont contemplée le jour de la Transfiguration. Mais ils s’imaginent encore que cette gloire, on peut la posséder, la réclamer. Jésus profite de cette demande pour faire une mise au point. Sa réponse vaut pour eux mais aussi pour ceux qui les entourent : la plus grande gloire, la puissance suprême de Dieu, c’est de ne rien garder pour lui, c’est de se communiquer lui-même. Impossible d’hériter de la plus haute gloire imaginable, celle du Père, sans entrer dans son mouvement perpétuel, le don et le service.

Cet évangile est une invitation très forte à remettre les choses à leur vraie place. Pour devenir grand, il faut se faire serviteur. Ce qui commande tout, c’est la loi d’amour et le don de soi. Cette loi d’amour commande car Dieu lui-même lui obéit, il la place au-dessus de tout. C’est en regardant vers la croix du Christ que nous comprenons mieux toute la portée de ce don de soi. Nous n’avons pas à juger Jacques et Jean. Leur tentation est souvent la nôtre. Notre prière ressemble souvent à leur demande, nous sommes souvent devant Dieu en position de suppliants. C’est ce qui arrive quand nous ne pensons qu’à nos avantages, quand nous sommes tentés de nous faire servir au lieu de servir, quand nous sommes tentés de prier pour que le Seigneur fasse notre volonté. Nous ne disons jamais, ou rarement, « Seigneur aide-moi à donner ce que j’ai de meilleur, donne-moi la force d’offrir ce que je porte et qui me vient de toi, donne-moi la joie d’offrir ma présence, un regard qui ne juge pas, d’offrir la bienveillance là où tous ne font que critiquer. Donne-moi non pas quelque chose mais un désir, ton désir, un coeur brûlant d’amour pour le monde et pour l’homme ». Car ce désir fait des miracles, il enclenche une logique de vie.

Alors peut-être pourrions-nous pour une fois, dans notre prière personnelle, la seule qui, si elle est régulière, nous fait fréquenter intimement le Seigneur, demander pour une fois au Seigneur non pas qu’il donne mais qu’il prenne. Cela nous changerait non ? Non pas « Seigneur donne » à moi qui suis si démuni, mais « Seigneur prends » je t’offre mes peurs, mes doutes, ma violence cachée, mon avidité, mes blessures, à toi seul je puis donner cela. Je t’offre dans l’eucharistie ma vie cabossée et lorsque nous déposons sur l’autel le pain et le vin c’est cette vie d’efforts et d’espoirs fous, de joies et de peines, que je dépose à cet endroit même, avec celle de tous mes frères et soeurs. Prends, Seigneur, cette vie qui parfois est lourde de ces encombrements du coeur, de l’esprit et de l’âme, pour je puisse te recevoir toi et rien d’autre, toi tout entier, non pas tel que je te rêve mais tel que tu es. Cela seul me suffit.

Père Emeric DUPONT

 

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