LE DON DE LA CONFIANCE : ESPÉRER CONTRE TOUTE ESPÉRANCE

7 novembre 2015

      La première lecture de ce dimanche met en scène la pauvre veuve du village de Sarepta, soudainement et fort opportunément visitée par le prophète Elie en personne. Ça n’a pas l’air d’être l’opulence ! Elie demande un peu d’eau, comme tout voyageur est en doit de le faire. Notons entre parenthèse l’attitude d’Elie qui s’approche de son interlocuteur sous le mode de la demande, comme le fera Jésus lui-même plus d’un demi-millénaire plus tard. Et puis il demande du pain, le minimum vital. Ce mode de la pérégrination est commun chez les prophètes. Passant de lieu en lieu, ils donnent à voir un envoyé de Dieu toujours en mouvement et soucieux de rendre visite aux hommes, et d’habiter chez eux.

Mais ici, la pauvre veuve n’a plus rien, ou si peu. Juste de quoi tenir au bord du précipice, avant la plongée dans le dénuement total. La demande d’Elie, comme beaucoup de demandes ou d’épreuves que nous avons à affronter un jour, semble mettre celui ou celle qui la reçoit dans une situation impossible. A vues humaines, donner ce qui nous reste, c’est se jeter à corps perdu vers l’inconnu. Beaucoup d’entre nous ont connu ou connaissent cela : être à bout, à bout de forces, d’argent, à bout d’espoir, à bout d’excuses, à bout d’arguments… Elie ouvre une perspective que Jésus reprendra plus tard : « quand tu es à bout, c’est là que tu connais la vraie pauvreté, non pas théorique mais réelle, palpable, effrayante… c’est là qu’il faut faire confiance en la parole qui dit, ‘ essaye encore, autrement… essaye avec moi’ ». Dans de nombreuses circonstances, cette invitation à se risquer en risquant tout retentit dans les pages saintes de la Bible. La pêche miraculeuse en est un autre exemple. L’offrande de la veuve au Temple de Jérusalem en est une autre… « Va, vends tout, et suis moi »… C’est peut-être lorsque l’homme se risque, lorsqu’il n’y a plus rien à donner, à croire, à espérer, lorsqu’il y a le frôlement du gouffre, que l’engagement de soi est le plus total et le plus vrai.

La croix, n’est-ce pas autre chose ? L’offrande par Jésus de sa vie entière, la foi nue qui s’avance vers l’inconnu, au travers des ténèbres. Et cette extrême pauvreté de certitudes, accrochée à une foi qui tient bon dans la ténèbre, ouvre des chemins inattendus. Contre toute attente, « ça passe » ! Ça passe comme au travers des eaux de la mer, lorsqu’Israël fuyait ses poursuivants égyptiens. Quand nous sentons que nous jouons gros, qu’il y a du risque, notre réflexe premier nous invite à la prudence, au repli sur soi attentiste, à l’économie de moyens et aux calculs, comme si tout-à-coup il n’y avait plus que nous seuls, sans Dieu.

Elie est très clair dans ses gestes qui sont des signes : Dieu invente. Il ne cesse d’inventer de nouvelles manières de traverser l’épreuve et de faire jaillir de l’abondance, de la vie. Ce n’est pas encore la mort, ce n’est pas le néant, ce n’est qu’un passage !

Tous, nous ne sommes pas prêts à prendre de tels risques au nom de notre foi, à nous engager au prix de nos propres forces, en frôlant le danger. Mais Elie ne condamne personne, il affirme la permanence d’un signe de Dieu présent, qui porte la vie de celui ou de celle qui consent au risque dans la foi, à la suite des prophètes. Dans les profondes réflexions qui nous animent lorsque nous avons à décider de choses graves et lourdes de conséquences pour notre avenir, puissions-nous simplement ne pas oublier, nous qui croyons en la Divine promesse, que nous ne sommes pas seuls à traverser. Dieu lui-même ouvre des passages dans les murs en apparence infranchissables. Des obstacles, il fait des chemins. Il ne dit pas simplement « traverse, je te regarde », il s’y engage lui-même, de toutes ses forces.

À quelques jours du 11 novembre où grand nombre de nations européennes commémorent ensemble la fin d’un des conflits les plus sanglants de l’histoire, puissions-nous garder à l’esprit que la peur dresse des murs entre les hommes, peur de l’avenir, peur des autres, peur de l’inconnu… Il en est des nations comme il en est de cette pauvre veuve : lorsque l’épuisement vient, lorsque tout semble obscurci, lorsque l’avenir semble compromis, c’est là sans doute, comme la grande sagesse biblique l’affirme, qu’il faut trouver en soi des ressources de courage et d’espérance, peut-être dans la parole d’un autre, qui nous redit que la vie est possible. Puissent nos vieilles civilisations européennes, qui ont tellement cherché, vécu, combattu, douté, et se sont relevées toujours… puiser dans le souvenir de leur riche histoire la certitude qu’en mettant en oeuvre leur génie propre, elles peuvent encore traverser de nouvelles époques et se réinventer encore, sans mourir. Car réinventer l’avenir au nom de l’espérance est sans doute le grand appel que nous adresse la parole de Dieu ce dimanche

P. Emeric

 

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