METTRE DU VIN DANS SON EAU

16 janvier 2016

Une fête, des invités, six cuves d’eau de vaisselle… Tout le décor est planté. Dans un récit comme celui-là, tout est stylisé, symbolique. Le vin vient à manquer et voilà que Marie s’exclame « ils n’ont pas de vin », comme s’ils n’en avaient jamais eu, comme si cette joie du ciel que le vin symbolise dans le monde biblique avait toujours fait défaut à ces hommes et femmes qui désirent pourtant célébrer quelque chose d’ O combien festif.
Le vin c’est le fruit d’un long travail avec la vigne, lieu où l’attention patiente et délicate de l’homme dans son travail viticole, rencontre le don de Dieu qu’est le plan de vigne : l’un sans l’autre ne pourraient exister. Une vigne abandonnée est semblable à un jardin sauvage, un lieu de misère et d’abandon. Soignée, protégée, traitée avec la patience de celui qui donne au temps qui passe et qui seul peut faire mûrir les fruits sa vraie dimension, la vigne est le signe d’un travail commun, celui d’un partenariat : Dieu donne la vigne et l’homme la fait exister. Ce qu’on peut espérer d’un tel travail commun, c’est le vin, dont tous les prophètes n’ont cessé de dire qu’il représentait l’ultime banquet de noces, celui de l’éternité, où tous pourront jouir ensemble du fruit de leur travail. Et ce fruit, c’est la joie éternelle !
Six jarres parce que le monde a été créé en six jours symboliques, parachevés par le 7ème, au cours duquel le Créateur regarde et bénit sa propre oeuvre. Six jarres parce que précisément quelque chose manque à ces noces trop bien huilées. Tout est organisé mais il manque la part divine. Il manque ce petit rien si essentiel qui donne leur saveur aux choses. Les jarres d’eau ne signifient que cette part humaine sans laquelle Dieu lui-même ne peut rien. C’est pourquoi Jésus les fait remplir à ras bord, en signe de l’effort qui nous est demandé, à chacun d’entre nous, d’aller au bout de ce que l’on peut humainement faire. Cette abondance d’eau fade, ordinaire et pourtant nécessaire, est la condition même du miracle de la transformation. Dieu ne fait pas de signe à partir de rien. Il part toujours du trois fois rien que nous lui offrons. Et c’est parce que notre signe humain est humble et dérisoire que ce qui advient est bien le signe de sa puissance à lui, et non de la nôtre.
Jésus nous invite ici à faire notre part humaine en toute chose, sans nous inquiéter de ce qui viendra après. Mais la faisons-nous toujours ? Remplissons-nous jusqu’à ras bord les cuves de nos existences ? Ou bien nous décourageons-nous avant ? « Faites ce qu’il vous dira » suggère Marie, en mère avisée. Autrement dit ne vous inquiétez pas du résultat. De vos pauvres forces il va faire jaillir le miracle de la vie transformée, de la vie qui prend sens et saveur et de la joie vraie au coeur des actes les plus simples, l’éternité déjà promise à travers ce que nous offrons de plus ordinaire : notre quotidien souvent insipide.
Oui, vraiment ces noces sont bien plus qu’un épisode anecdotique. Jésus va changer la vie, il va la changer radicalement et de la seule manière qui soit vraiment efficace : de l’intérieur même du coeur de l’homme. Par le don de sa vie, sang dont notre vin eucharistique est porteur lorsqu’il a reçu l’onction de l’Esprit, l’eau stagnante de nos vies humaines prend la dimension d’une joie que le monde ne peut nécessairement comprendre, parce qu’elle est sans raison, gratuite, à l’image de l’amour lui-même. Elle est inexplicable et souvent insaisissable. C’est la joie de se savoir aimés sans l’avoir mérité, bénis avant même d’avoir agi, compris là où nous-mêmes pensions ne pas ou plus nous comprendre. Le meilleur vin, celui qui vient après, celui qui donne la force de vivre une existence transfigurée, ne peut venir qu’après l’offrande de nos pauvres existences. Alors commençons peut-être par là. Dans les silences que nous vivrons cette semaine, offrons au Christ ce que nous sommes, que nous soyons fiers ou non de ce don de nous-mêmes, et demandons-lui de transformer nos maigres talents et nos minuscules capacités en un jaillissement illimitée de joie dont il est lui-même la source parce qu’il n’y en a pas d’autres.

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