Au milieu de ce qui s’achève, discerner ce qui naît

13 novembre 2016

              Le Temple en imposait, à Jérusalem. C’était sans doute le symbole d’un ordre puissant, d’une civilisation qui semblait indestructible, qui plus est fondée sur une Alliance avec Dieu lui-même, sensé habiter le Temple et le protéger. Mais Jésus promet le chaos, les bouleversements, l’écroulement. Ce qui semble en apparence indestructible s’écroulera comme s’il n’avait jamais existé, instantanément. Rien de matériel ne tient pour toujours, tout passe. La civilisation où vécut le Christ nous apparaît comme un lointain souvenir, presque comme une autre planète. Et pourtant, il y a 2000 ans, rien ne semblait pouvoir déboulonner l’empire romain. Rien ne semblait devoir détruire le Temple de Jérusalem, symbole d’une certaine manière de prier Dieu. Et voilà que tout cela n’est plus.

Personne n’est à l’abri de la crise, de l’effondrement d’un système. Nos grandes multinationales nous l’ont prouvé. Mais je veux parler également des petites crises, des crises à l’échelle de l’individu. Elles arrivent sans prévenir : crise de l’âge ou d’un cycle, crise du dialogue, de la confiance, de la foi, des relations, crise dans son travail ou dans ses choix de vie… un tsunami qui peut prendre bien des formes et qui balaye tout sur son passage, à tel point que rien ne paraît sûr, absolu, puissant. Nos points d’appui vacillent. Et ces ruptures nous paraissent être, quand elles sont là, comme une petite fin du monde, en tout cas la fin d’un monde, le nôtre, puisque rien ne sera plus comme avant, lorsque ce sera fini et qu’il faudra repartir de quelque part.

Sur quoi je tiens ? Sur quels points d’appui ? Qu’est-ce qui est certain ? Mon emploi ? Mon mariage ? Mes amitiés ? Ma foi ? L’image que je donne de moi et qui me rassure ou me désespère ? Rien de tout cela n’est vraiment solide. Mais Jésus dit qu’il y a la vie dans l’écroulement, une vie possible parce qu’accueillie malgré tout. « Pour toi, je me ferai parole », il veut que nous tenions par la parole qu’il nous offre, la Parole qu’il est, pour nous. Lorsque les repères vacillent, il est bon de se tourner vers un lieu où une parole solide nous est donnée, une parole sur laquelle on sait pouvoir compter. Quelque chose qui ne s’écroulera pas, qui ne fluctuera pas. Eh bien dans la crise qui fut celle de la fin du Temple, qui ouvrit une ère de persécution inouïe pour les premiers chrétiens, Jésus fut peut-être la seule solidité sur laquelle beaucoup purent s’appuyer. Sa Parole ne fit jamais défaut à ceux qui décidèrent de la mettre au centre de leur vie bouleversée, comme un œil du cyclone au milieu des bourrasques. Ils crurent, ces disciples des premières communautés, qu’au milieu d’un monde qui partait en ruines, Christ demeurait, immuable, paisible, rayonnant. Et qu’en lui toute crise pouvait devenir itinéraire, passage.

Sa Parole nous rend la parole, elle accueille nos cris et nos larmes, nos silences et nos exultations. Elle dessine en clair-obscur le visage d’un Dieu qui dialogue, qui écoute, qui tient parole, qui se tient là, au seuil de nos certitudes, sur cette ligne de crête étroite et ténue que nous appelons la foi. Là où rien n’est sûr, mais c’est là que miraculeusement, ça tient. Parce que ça ne repose sur rien d’humain, sur rien de logique. Fragile espace de la foi, qui peut tenir s’il ne veut rien détenir, s’il ne prétend à rien, s’il se fait accueil, demande, relation. « Pour toi, je me ferai Parole », cela veut dire que j’habiterai ta vie, que je ferai de ta détresse un chemin qui mène à la vie, et de ta traversée un signe pour le monde, un témoignage dé ma Vie plus forte que la mort. Inutile de se demander pourquoi, dans les tourments de la vie, l’un est pris et l’autre est laissé, certains sont épargnés et d’autres non. L’Évangile ne répond pas à cette question. Il dit simplement que la vie est possible même quand tout n’est pas idyllique, quand la crise survient, quand des systèmes de valeurs, des façons de voir la vie ou les autres s’écroulent. Quand il n’y a plus que les ruines de ce que nous pensions être éternel. Et c’est souvent là, entre deux pierres couchées, au milieu d’un spectacle souvent absurde et scandaleux, que pousse timidement la fleur que nous n’avions même pas vue, et qui redit que la vit jaillit même où plus rien ne tient. Il n’y a pas d’impasse en Jésus-Christ, il n’y a que des passages.

Émeric Dupont

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