Pour que nos communautés de disciples soient plus fraternelles

5 septembre 2016

« Accueille-le comme si c’était moi », quelle plus belle déclaration peut-on imaginer pour dire en quelques mots le fondement même du christianisme. Saint Paul recommande ainsi Onésime à Philémon comme si c’était un autre lui-même: même famille, même chair. Et en ce monde méditerranéen où le clan est une dimension centrale des relations entre les hommes, « accueille-le comme si c’était moi » veut dire également « nous appartenons à une même communauté d’intérêts », ou encore « nous travaillons ensemble, nous travaillons ensemble, nous œuvrons dans la même direction ». La dimension fraternelle mise en place par le christianisme naissant n’est ni une abstraction ni un angélisme, c’est la constatation d’un fait, c’est un programme de vie, c’est l’appel à une conversion profonde.

Le fait que Paul constate, c’est que le baptême n’est pas seulement un rite d’agrégation sociale mais une entrée dans une vie nouvelle, conséquence d’une union intime au Christ, Parole vivante, aussi tranchante que le glaive, qui traverse de part en part le mystère de la mort, et, dans sa personne même, fait perpétuellement jaillir la vie divine qu’il reçoit du Père et ne cesse de Lui redonner dans un mouvement d’amour et de confiance réciproque. Cette entrée individuelle dans la vie du Christ ne peut pas ne pas avoir de conséquences dans la vie de la communauté elle-même, car cette communauté est bien plus que l’addition des membres qui la composent. Elle est un corps, celui du Christ lui-même. Et dans ce corps, les habituelles divisions en castes, en classes, selon le sexe ou l’expérience, selon les modes de pratiques religieuses,… tout cela doit tomber. C’est en cela qu’elle est prophétique, cette Eglise du Christ. Non pas à cause de tel ou tel charisme prophétique de ses membres, même si cela demeure infiniment utile, mais parce qu’elle est signe de bien plus qu’elle-même. Et lorsqu’elle parvient, même un peu, à correspondre à ce signe, notre communauté devient lumière du monde. Ou plutôt elle devient transparente à la seule lumière qu’est le Christ.

Et c’est ici que s’esquisse un programme de vie. Devenir effectivement, quotidiennement, ce que nous sommes déjà dans l’espérance. Il faut réaliser ce qui est promis. Devenir ce corps du Christ à l’œuvre dans le monde. Et vivre selon le Christ c’est parfois vivre en contradiction avec certaines valeurs du monde. Pas toutes, loin s’en faut. Mais certaines. J’en citerai quelques-unes. Pour un disciple du Christ, qui vit en ayant conscience de la grande vanité des valeurs qui découpent la personne humaine en aspects ou en en dimension hétérogènes, ou prétendent l’enfermer dans une identité définitive, considérer un humain selon sa valeur productive, son origine ethnique, son utilité sociale, sa prétendue dangerosité de nature, c’est demeurer dans l’ancien monde, celui d’avant le Christ, un monde où la segmentation païenne avait force de loi. Et l’Eglise est prophétique lorsqu’elle redit avec force ce qui la fait vivre, ce à quoi elle croit, ce qui ne lui paraît pas négociable, ce qui lui semble dangereux, lorsque la dignité de l’homme est subrepticement et insidieusement remise en question, l’air de rien. La récente actualité, s’il fallait encore en faire la preuve, le démontre aisément.

Pour vivre en disciple du Christ, donc, quelque chose doit changer. L’appartenance à Celui qui est chemin me paraît incompatible avec l’immobilisme. Si la vie publique du Christ a été mouvement, si la tentation permanente des apôtres a été l’installation, c’est que mouvement et stagnation sont des Si mon adhésion au christianisme ne change rien, si rien n’est bouleversé, si tout ronronne, c’est alors qu’il y a peut-être quelque chose à regarder de près. Jésus utilise ici des arguments qui n’ont rien de commun avec les sentiments ou l’émotion: il fait appel au réalisme de ses auditeurs, à leur bon sens et presque à un esprit de calcul. Il s’agit ici de prendre les moyens d’affronter une situation inhabituelle ou délicate. Et qu’est ce qui est par excellence inhabituel ou délicat dans ce contexte du Christ guérissant et réconfortant les foules d’êtres abîmés par la vie, c’est d’entrer dans une vie plus haute, c’est de se transformer intérieurement pour devenir semblable à Dieu lui-même. Qui peut prétendre y parvenir ? Qui peut se dire arrivé à destination ? A ces questions angoissées dont l’Evangile s’est fait d’emblée l’écho, questions qui sont certainement les nôtres aujourd’hui, Jésus répond invariablement par ces mots rassurants et inquiétants tout à la fois : « A l’homme cela est impossible, mais pas à Dieu, pour qui rien n’est impossible ». Il s’agit d’opérer ou plutôt d’accepter un changement de point d’équilibre dans notre vie. Le philosophe Wittgenstein disait que le croyant ne se différencie des autres que par ses points d’appui pour se tenir debout, car il tient par le haut. La foi dont Jésus de Nazareth est à la fois l’initiateur et l’objet ne nous pousse non pas à accumuler, que ce soit du savoir sur Dieu, des actes méritoires, des objets de piété… Mais il ne dit pas non plus que ces choses doivent être bannies. Simplement, elles ne doivent pas devenir des images qui prennent la place de Dieu qui lui est l’absence même d’image. Adorer ce qu’on ne peut représenter, voilà qui nous pousse sans cesse à nous désapproprier. Non pas renoncer à tout, mais renoncer à la propriété sur ce que nous possédons et qui, en vérité nous possède. Mais je laisse la parole au Christ, qui le dit bien mieux et plus synthétiquement que moi: « Celui d’entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple ».

+ Emeric Dupont

 

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