Sauver, guérir, connaître…

1 février 2016

« Sauve-toi toi-même », « guéris-toi toi-même »… dans ces injonctions pleines d’ironie se cache souvent l’accusation faite aux croyants de ne pas être capable de faire la démonstration implacable de ce que leur foi contient. Guérison, salut, changement du monde, révolution de l’amour… toutes ces notions disent le grand écart qui est souvent le nôtre, tiraillés que nous sommes entre la grandeur de ce que nous croyons que le Christ a accompli et accomplit encore au présent, et l’apparence d’un système du monde toujours pareillement injuste, violent, et parfois invivable. Sauveur, qu’es-tu venu sauver ? Que prétends-tu sauver ?

Car il manque une troisième injonction du même style que les 2 premières, celle-ci nous vient du monde grec ancien. Il s’agit de « connais-toi toi-même ». Et celle-ci, le christianisme en a fait usage en la personne de St Augustin. Il ne s’agit pas de prétendre se connaître entièrement par soi-même, quelle vanité ! Mais au contraire de reconnaître qu’il y a du mal connu en soi, qu’il y a même du plus que soi. Citons un instant le grand évêque d’Hippone :

« Que l’âme ne cherche donc pas à s’atteindre comme une absente, mais qu’elle s’applique à discerner sa présence ! Quelle ne cherche pas à se connaître comme si elle était une inconnue pour elle-même, mais qu’elle se distingue de ce qu’elle sait n’être pas elle ! »

En nous il y a de l’autre. Nous en faisons l’expérience quand l’exemple ou l’image de quelqu’un nous aide à traverser une épreuve ou à prendre une décision délicate. En nous, il y a le désir infini de connaître et d’aimer. Un appétit, une soif infinie d’amour que rien ne peut totalement étancher sur la terre. Avez-vous rencontré quelqu’un vous disant : je suis repu d’amour ? Je n’ai plus besoin d’aimer ? Non, jamais. Parce qu’en matière d’amour l’homme est un tonneau percé : toujours avide, jamais rempli. Et personne, même la personne la plus aimante à notre égard, si jamais elle existe, ne le remplira. Non purifié, centré sur soi seul, ce désir frustré peut amener les pires dépressions et les réactions d’agressivité les plus violentes, les plus destructrices que l’on puisse imaginer. Il peut mener à la séduction immodérée, à la manipulation, pire à la chosification de l’autre, voire aux pires dérives que l’âme peut parfois connaître sans s’y reconnaître. Nous ne nous

suffisons pas. Seuls, totalement isolés, nous dépérissons. C’est notre drame, c’est aussi notre chance. Nous avons été créés pour l’autre, car il n’est pas bon que l’homme soit seul, comme le dit Dieu dans le livre de la Genèse. « Va vers mes frères » dit encore Jésus ressuscité à Marie-Madeleine. C’est tout un programme de vie qu’il propose. VA, sors de ta forteresse intérieure, barricadé par peur de l’autre, cherche-moi et trouve-moi comme un reflet de l’unique amour dans le coeur de ceux que tu rencontres, aussi et surtout chez ceux qui te semblent le moins aimables. Alors tu connaîtras, au plein sens du terme, tu connaîtras Dieu dans ses mille dans ses millions de visages et tu te reconnaîtras comme l’un de ces visages. Alors ta vie sera de t’aimer toi-même en l’autre, d’aimer Dieu en lui et lui en toi, tu deviendras l’image même du Dieu Trinité, communion et surtout circulation immémoriale d’amour, tu seras au coeur de Dieu et il sera à jamais dans ton coeur. Alors, tu n’auras plus jamais faim et jamais soif, comme Jésus le promet.

Pour celui qui vit et comprend cela, il y a authentiquement révolution totale. Le monde devient autre. Ne demeurons pas comme les citoyens de Capharnaüm, incapables de voir Jésus dans sa radicale nouveauté, le regardant toujours avec des yeux morts, des yeux du passé, de sa jeunesse et non des yeux qui voient l’ici et le maintenant. Faisons de même pour l’autre. Il est toujours lus grand, bien plus grand que nos images, que nos opinions. Il porte Dieu. Qu’il en soit conscient ou non. Dieu vit en lui et veut s’aimer en lui d’un amour qui aille de l’homme à l’homme, de l’humain à l’humain, et que Dieu soit lui-même cet amour qui unit sans contraindre, qui assemble sans uniformiser, qui donne sans demander et qui, du coup, reçoit. Quiconque accepte cette nouvelle logique de vie et la met en pratique ressemble tout à coup à un jardin sec qui est inondé d’eau vive. Il reprend vie, il n’a plus besoin d’avoir peur de manquer car il a tout. Voilà pourquoi Jésus insiste tant pour dire que les gestes effectifs de service et de charité et d’amour que les membres de la communauté de ses frères, c’est-à-dire nous, se donnent, que ces gestes le rendent présent. Pas symboliquement, pas par le souvenir, mais effectivement. Ce « plus grand que soi » que nous portons en nous devient présent par une sortie de nous pour aller vers les autres, manifestation effective du Dieu Trinité qui nous as créés à son image pour être des êtres de relations, toujours en mouvement parce que l’amour est mouvement depuis toujours et pour toujours. L’amour, comme le dit St Paul, ne passera jamais.

+ Emeric Dupont

 

Les commentaires sont fermés.