Témoins d’une vie nouvelle

14 janvier 2017

Jean le Baptiste est un homme de feu, un prophète rempli de charisme. De par sa manière d’être, de par ses gestes, ses paroles et sa personnalité si merveilleusement accordés, il n’a pu que troubler ceux qui ont eu le privilège de le croiser. Il est, de tous les témoins, sans doute le plus convaincant, le plus crédible, celui qui a montré tout à la fois la tristesse d’une vie sans Dieu et la blessure béante que pouvait représenter, entre le créateur et sa créature, un éloignement trop grand. Il a tonné contre le péché mais il était, pour les pécheurs, rempli d’une douce patience dont seul Dieu, semble-t-il, est capable.

Bref, un témoin si exceptionnel qu’il a su attirer à lui les foules. Mais qu’a-t-il fait de ce talent exceptionnel ? A-t-il gardé pour lui le fruit de son innombrable pêche à l’homme ? Ces âmes soudain brisées par la découverte fulgurante de leur misère intérieure, a-t-il cherché à les capter, à les manipuler ? Pas le moins du monde. Il ne fait rien pour lui-même. Il montre un autre, qui vient après lui et dont il annonce la grandeur incomparable. En cela, il est bien tout à la fois le signe et la logique même de ce que le baptême représente, une conversion et une rencontre.

Pas de rencontre sans disponibilité. Jean-Baptiste sait le coeur de ses contemporains encombré de mille et un désirs superficiels : paraître, être admiré, se faire une place au regard du monde, vivre dans l’opulence inutile plutôt que dans un strict cantonnement à la satisfaction des besoins vitaux. Il sait que lorsque nous sommes ainsi encombrés de pulsions égocentriques, Dieu lui-même pourrait bien passer tout à côté, nous serions incapables de discerner se présence humble et discrète au milieu du tumulte du monde. Le prophète du désert savait intuitivement que pour rencontrer le Christ, il faut préparer un chemin intérieur où il puisse entrer pour nous toucher en profondeur, au-delà des couches extérieures de nos habitudes et de nos masques sociaux, ces « oripeaux de misère » dont parlait si bien Mère Teresa. Il fallait qu’il puisse trouver en nous un peu de la vulnérabilité consentie dont il a besoin pour se faire notre hôte. Et cette vulnérabilité, c’est celle dont on entrouvre un faible espace lorsque l’on consent à dire « je ne suis pas un dieu, je ne sais pas où je vais, sous mes grands airs je ne suis pas grand-chose, je ne suis qu’un petit enfant qui cache sa peur de vivre dans le tourbillon des distractions, je désire trouver un chemin qui mène vers la Vie ». Alors et alors seulement l’on devient pour quelques instants ce pauvre de coeur dont parle le Christ. Et le geste d’entrer ainsi dans le baptême le manifeste bien puisque nul ne peut être baptisé s’il ne se remet dans les mains d’un autre, s’il ne se penche pas dans la courbure de l’humilité vraie, s’il ne se met pas à nu devant son Seigneur et maître, nu comme un petit enfant qui vient au monde. Et c’est ce qui se produit, en effet, c’est un jaillissement de vie nouvelle qui advient tout à coup.

Nous voilà redevenus des nourrissons, soudain conscients de ne rien pouvoir faire par eux-mêmes, des enfants de la lumière et du vent, libres et joyeux d’avoir ainsi expérimenter que l’amour divin donne tout et ne demande rien, il est ce perpétuel sourire au-delà du temps et des mouvements du monde. A l’image de la nature tout entière où tout advient gratuitement et sans raison, où tout est offert sans cupidité, à l’image du soleil qui « éclaire et réchauffe tout à la fois les bons et les méchants », ce sourire rempli d’un amour brûlant est à l’image même du don de la vie que nous avons reçu sans l’avoir demandée. Un baptisé, c’est un vivant à qui est offerte la promesse de savoir pourquoi et pour qui il vit. Un baptisé, c’est un prisonnier libéré de chaînes immémoriales à qui est offerte sans mesure la liberté de se donner à son tour, puisque c’est la seule manière de devenir vraiment ce que l’on est. Ayant reçu sans l’avoir mérité l’offrande de la vie en plénitude, le voilà invité à faire de sa vie une plénitude d’offrande.

Par le geste du baptême, Jean offre la chance d’un commencement, il montre un chemin. Mais n’est pas lui-même le chemin. Le chemin, pour nous, c’est le Christ, qui va venir se courber pour recevoir à son tour, comme des centaines d’autres avant et après lui, la poignée d’eau qui dit le désir de vivre dans une pureté nouvelle. Mais en lui va s’ouvrir une suite, sans laquelle le premier geste ne serait rien. Pour lui va s’ouvrir le ciel, comme une ébauche d’apocalypse. Et le miracle inouï va s’accomplir: Dieu va demeurer par son Esprit au plus intime du corps et de l’âme de l’homme, il va faire de l’humanité son temple nouveau et de l’Eglise son signe visible et palpable. Oui, plonger dans cet amour sans mesure, c’est renaître. Parce qu’avant de le connaître, l’homme n’était pas l’homme. Et sans Dieu, il nous manque le meilleur de nous-mêmes. Le meilleur de ce que le créateur offre à sa créature, c’est-à-dire Lui tout entier, le meilleur de ce que le Fils reçoit du Père de toute éternité et lui redonne dans un élan d’amour incommensurable, ce meilleur qui donne au Dieu Trinité d’être une communion d’amour et à l’homme un réceptacle de la splendeur du ciel. Sans lui, il nous manque le meilleur dont Dieu nous a montré qu’il est indispensable pour vivre selon les lois de son amour. Sans lui, il nous manque… le manque.

Emeric DUPONT +

 

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