UN ÉVANGILE À FAIRE

10 avril 2011

« Évangile », c’est un mot synonyme de « Jésus-Christ », l’idée centrale en est que le messager devient message. Jésus vit ce qu’il dit, et ce qu’il est c’est d’être cette Parole du Père qui vient dans le monde. Pour qui ? Pour nous et pour nous seuls. Quelle merveille ! Le défi pour nous est donc d’arriver à faire de la parole un Évangile, une bonne nouvelle. Je m’explique : la Parole reste abstraite sans celui qui la proclame. Et celui qui la proclame la rend vivante ; il la proclame avec ce qu’il est, avec son âme et son corps, il lui donne chair en quelque sorte. Sinon elle reste pur texte. Il va sans dire que les prédicateurs se conforment à la vie de Jésus, mais en ce XXIème siècle, chaque chrétien qui témoigne dans sa propre vie est un peu « prédicateur ».

Saint Paul le résumait admirablement en parlant des sentiments dans la communauté, qui doivent s’ajuster à la manière de vivre dont Jésus a témoigné. Relisons Philippiens (2, 5-6) : « ayez entre vous les mêmes sentiments qui sont dans le Christ Jésus : lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu… ». Jésus n’est pas un manipulateur. Ce qu’il fait, c’est pour nous offrir une manière de vivre qui rende l’ingestion (et la digestion) de la Parole possibles. Évidemment, il y a une conformité au Christ qui est requise, c’est la seule vérification à Dieu qui nous soit offerte, et même, si l’on y réfléchit, qui soit offerte au monde. La vérification à Dieu, définissons-la : c’est un ajustement de nos actes et de nos paroles à des actes et des paroles plus grands que nous-mêmes, qui nous redisent notre origine et notre destination, qui tracent une voie. La vérification, c’est le discernement que je fais pour m’assurer que je suis bien dans ce processus, et c’est l’Évangile, Parole vivante vécue et proclamée, qui m’aide à le vérifier.

Comment faire de l’Évangile mon contemporain ? C’est un processus, car l’Évangile est au bout d’un processus : comment advient-il dans mon existence ? L’Évangile est un événement, ce n’est pas un concept, ce n’est pas y a 2.000 ans, c’est actuel, c’est un évènement contemporain. Kierkegaard parle de la « contemporanéité » : je suis le contemporain du Christ. Ce n’est pas évènement qui a eu lieu, c’est un processus continue d’advenue dans mon histoire.

Pour ne parler que de ceux qui proclament et enseignent la Parole lors de l’eucharistie, la difficulté du prêtre est de faire de l’Évangile quelque chose d’actuel pour la communauté. On ne peut pas lire l’Évangile qui parle de Jean-Baptiste sans faire un peu d’histoire, mais il faut aussi le rendre actuel. C’est mouvement spirituel qui passe du rédacteur du texte Évangélique (il y a 200 ans donc !), l’assemblée qui l’écoute aujourd’hui et le travail de l’Esprit Saint qui relie ces deux moments.

Dans un roman italien de 1950, un soldat découvre qu’il y a un cinquième évangile. Il passe sa vie à le chercher. A la fin, il tombe en effet sur un cinquième évangile : « c’est celui que tu écris, toi », lui dit quelqu’un. C’est sans doute ce que produit, finalement, la mastication continuelle de la parole, car le chrétien est celui qui achève l’Évangile, qui lui donne sa destination finale qui est d’être là dans notre aujourd’hui ! Relisons les Actes des Apôtres (1,1) : « depuis le commencement jusqu’au jour où, après avoir donné ses instructions aux apôtres qu’il avait choisis sous l’action de L’Esprit saint, il fut enlevé… ». L’Évangile ne termine pas à l’ascension du Seigneur : c’est l’histoire de la communauté chrétienne qui achève la passion du Christ et la parole de Dieu.

Pour terminer ce propos, j’ajoute qu’il faut souligner l’importance d’une lecture communautaire, collective. Je confronte mes propres histoires de vie à celle de la communauté qui m’entoure, c’est une lecture en communauté. Il me semble que l’on s’ampute lorsque l’on n’a pas la correction mutuelle par d’autres images, d’autres idées que celles que l’on se fait soi-même. Il est possible de faire une expérience de transformation avec des gens que l’on n’a pas forcément choisis. En Église, on ne se choisit pas, mais on lit cette Parole ensemble et les uns par les autres.

Père Émeric DUPONT

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