LA SOLITUDE, UNE CAUSE A NE PAS DÉSERTER

3 avril 2011

Jamais il n’a été plus facile de communiquer, d’un bout à l’autre de la planète, avec une rapidité accrue. Sur des réseaux sociaux d’internet, jamais il n’a été si facile de se faire, en un clic, autant d’ « amis ».Chacun peut, s’il ne veut, raconter et exposer sa vie en détails, sans rien omettre, et même se filmer au quotidien et publier le tout sur un « blog », journal faussement intime qui vous mettra tout à coup en lien avec le monde entier, et si vous le désirez, rien de ce que vous vivez ou pensez n’aura de secret pour vos lecteurs potentiels.

Jamais il n’a été si facile d’être en relations… et pourtant, jamais la solitude n’a été si massive et si banalisée à la fois. A l’été 2010, la Fondation de France publiait un rapport sur la solitude, dont les résultats doivent nous interpeller, si ce n’est nous toucher. Perte d’un emploi, déménagements, vieillesse, vie d’étudiant loin de chez soi… les raisons de se retrouver seul sont multiples et n’épargnent aucune tranche d’âge ni aucun milieu social. Aujourd’hui un français sur dix (?!) se sent seul et en souffre.

Au-delà des constatations statistiques, notre propre foi nous révèle la destinée de l’homme, qui est d’être en relation. « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » (Genèse 2, 18) dit le Créateur lorsqu’il façonne l’humanité, et il ne s’agit pas seulement d’une incitation à la vie conjugale ! L’humain est à l’image de Dieu, proclame le monothéisme judéo-chrétien, et à ce titre il a reçu du Créateur un certain nombre de caractéristiques irréductibles aux autres créatures vivantes. L’une d’entre elles est essentielle: se recevoir d’un autre. Car ce sont les autres qui nous font exister, que nous le voulions ou non. Leur regard, leurs commentaires, leurs encouragements ou leur désapprobation, leur amour ou leur haine, nous affectent et nous façonnent. Un environnement porteur et chaleureux, rempli d’amour et de compréhension, ne vous donnera probablement pas, à la longue, le même regard sur vous-même et sur le monde, qu’un autre qui serait hostile ou indifférent. L’autre nous donne la vie, au sens où il donne à notre vie une raison d’être. Nul n’existe que pour soi. Ou bien il se perd, s’effondre, se disloque. Et puisque la raison de vivre se trouve en l’autre, être privé de l’autre me prive de raison de vivre, et à la longue, fait ressembler la vie à une vallée de la mort.

La grande révélation que Jésus nous offre , c’est que Dieu est lui-même relations. Du Père au Fils, du Fils au Père, l’Esprit-Saint se communique, puisqu’il est l’Amour divin. Dieu-Trinité, c’est le don et la réception du don portés au rang de nécessités divines. « Dieu ne peut que donner son amour », proclame un chant chrétien, et c’est bien là que se trouve le cœur de ce que nous croyons. Se donner et se recevoir sont si essentiels qu’en être privé est un drame et une injustice. Un être seul, ce n’est pas seulement quelqu’un qu’on prive d’attention et d’affection, d’écoute et d’intérêt. Ce n’est pas simplement une âme qui s’isole et qui s’enferme. C’est un trésor qu’on enfouit, et c’est sans doute plus grave. Car, sans doute, être privé d’une possibilité de recevoir l’amour est moins catastrophique que d’être privé de la capacité à se donner, à donner de soi. N’est-ce pas, pourtant, la vocation de tout être humain ? « Tu aimeras » n’est-il pas le commandement suprême, celui dont tous les autres dépendent ? Ce que nous aurons donné de nous, n’est-ce pas ce qui sera regardé au jour de paraître devant le Fils de l’homme ? La solitude, ce sont des trésors d’intelligence, de sensibilité, des personnalités absolument uniques, qui demeurent enfouis et inutilisés. Voilà sans doute l’injustice la plus grande.

La consolation est mince, de se dire que le Christ est le grand frère de tous les esseulés du monde, de tous les temps et de tous les lieux. Au soir du jeudi saint, seul à Gethsémani, bien qu’entouré d’une poignée de compagnons incapables de comprendre sa douloureuse traversée, il murmurait :

« Mon âme est triste à en mourir ! » ( Mt 26, 38 ). Quiconque va visiter l’isolé, quiconque fait l’effort de regarder autour de lui s’il peut tisser des liens avec ceux qui en sont privés, dans son quartier, son lieu de travail, réalise un peu le programme du Royaume des cieux. C’est peu et c’est énorme. Je prie en ce dimanche pour que dans notre communauté se lèvent de bonnes volontés qui ouvrent leurs yeux et leurs mains et aillent à la rencontre des isolés, mes semblables, mes frères et sœurs.

Père Émeric DUPONT

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