La fin, c’est le moment du bilan

23 novembre 2013

La fin, c’est le moment du bilan

 L’évangile de ce Dimanche paraît dur à certains. On a parfois appelé ce long passage de Matthieu, le dernier de l’année liturgique, “l’évangile des athées” : le Christ s’y adresse en effet à des gens qui semblent ne pas le connaître : “quand t’avons-nous vu avoir faim, soif, être nu, malade ou en prison ?” demandent-ils tous. Et vraiment, cet évangile du jugement se place ailleurs que sur le registre des appartenances officielles. Quant au fait que personne ne connaisse le Christ, c’est justement ce qui est à discerner. Qu’est-ce que connaître le Christ, quand le verbe “connaître” ne se limite pas à désigner une information explicite qu’on a emmagasinée ou une notion qu’on a enregistrée. Hors des sentiers battus, le Christ Roi révèle aujourd’hui ceux qui, contre toutes les normes mondaines, partagent depuis toujours sa royauté.

C’est vrai que tout commence avec les thèmes traditionnels de l’apocalyptique juive – dont Ezéchiel nous reflétait  l’image : le Fils de l’homme, le juge de la fin des temps revêtu de la fonction royale, la séparation des bons et des méchants, le feu éternel, tout est en place pour que l’on entre dans un schéma moral classique… mais par la suite le récit nous suggère bien autre chose ! Il ne s’agit pas tellement en somme d’entendre cette histoire comme un jugement définitif et déjà établi sur nos personnes que de le découvrir comme une invitation à reprendre, au cœur de notre existence, notre façon de vivre la foi aujourd’hui.

Imaginez que vous êtes les membres d’une église qui a Matthieu comme dirigeant. Dans la communauté, à force d’attendre un retour du Christ qui tarde beaucoup, nous avons pris des habitudes, c’est humain . il y en a de bonnes et de moins bonnes, et il y a en particulier que, tout soucieux que nous sommes de notre salut individuel, nous avons fini par ne plus rester attentifs aux besoins de ceux qui nous entourent… Alors Matthieu nous raconte une histoire, le souvenir d’un enseignement de Jésus : l’histoire est si forte qu’elle doit nous mettre en scène, mais pas tant dans l’un ou l’autre rôle que nous faire réfléchir à notre façon d’être, et à la corriger, dans le sens d’un plus d’évangile vécu…

Là, je peux commencer à m’interroger : est-ce que mes actes sont de l’ordre de ceux des brebis ou de ceux des chèvres ? Est-ce que ma vie quotidienne, mon attitude personnelle, fait une place aux plus petits dont parle Jésus, ou est-ce que je vais mon chemin sans égards pour ceux que l’on écrase si facilement parce qu’ils sont dans une situation précaire ? Ceux dont on dit qu’ils ont des problèmes parce qu’ils ne savent pas mener leurs affaires, ou parce que chez eux, il n’y a pas la volonté de s’en sortir, ou encore qu’ils n’auraient qu’à… Nous portons toujours des jugements, notre regard n’est jamais neutre, et pourtant nous pourrions, nous devrions, parce que nous connaissons l’œuvre de Dieu, garder toute la bienveillance possible à leur intention.

Est-ce que je suis chèvre ou brebis, maintenant ? Est-ce que je peux faire quelque chose pour changer – dans la mesure où cela me déplairait souverainement d’être parmi les chèvres ?

Quand Jésus raconte une histoire, ce n’est pas pour nous enfermer à notre tour, c’est pour nous libérer, pour nous ouvrir un horizon. Nous avons sans doute le cœur bien dur, puisqu’il faut nous dépeindre un sombre tableau, un tableau effrayant pour que nous acceptions de revoir nos attitudes… !

Il y a un avertissement : c’est le dernier moment – parce que maintenant que j’ai entendu l’histoire, je ne pourrai plus jamais dire que « je ne savais pas » ! L’intuition géniale de Jésus, c’est de nous faire reconnaître sa présence à lui dans celles et ceux que nous voyons dans la détresse : pas de pitié condescendante, pas de « oh le pauvre ! » sans suite… Celle-là, celui-là dans le besoin, c’est le Christ lui-même, et prendre soin d’elle ou de lui, c’est servir Dieu ! Toute notre solidarité doit tenir dans cette alternative : je reconnais le Christ dans chaque être humain en souffrance, ou pas ? Je désire vivre ma foi par une pratique de compassion et de générosité, ou je reste désolidarisé dans mon égoïsme ? Dans tous les cas, dès à présent, je ne peux plus me retrancher derrière l’excuse d’une ignorance : « Mais je ne savais pas… ! » – non, depuis cette histoire, je joue avec un Dieu qui met les cartes sur la table, et c’est à mon tour de servir !

Nous pouvons encore lire en corollaire la 1ère lettre de Jean : « Qui n’aime pas demeure dans la mort » ! …en renonçant à pratiquer la justice à l’égard des plus petits, je renoncerais à aimer, et j’entre alors dans une logique où le jugement a déjà eu lieu : en logique chrétienne, en valeur chrétienne, je suis mort si je n’aime pas.

Il y a une « constante » dans la condition humaine, c’est la condition de détresse d’une grande partie :      la faim, la soif, l’exil, le dénuement, la maladie, l’enfermement. Et il y a une « constante » de la foi chrétienne : celui qui a faim ou soif, celui qui est exilé, nu, malade ou prisonnier, c’est toujours le Christ !

La question de Matthieu à sa communauté – à notre communauté, c’est de nous positionner par rapport à ces deux constantes, c’est de faire le choix qui s’impose…

Avec le Deutéronome en écho, qui nous dit : « Choisis la vie ! »

Père Émeric DUPONT, curé

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