Ils sont arrivés tout près de Lui, ceux qui venaient de si loin…

2 janvier 2011

Ils n’ont rien compris de Lui, ceux qui en étaient si proches…

Le prophète Isaïe, avec des siècles d’avance, avait vu juste. L’œuvre de Dieu, à travers le petit peuple choisi d’Israël, allait s’étendre aux nations du monde ; allait se révéler enfin, en la naissance d’un enfant, le visage d’un Dieu de pardon et de perpétuelle bienveillance, qui ne se lasse jamais de réveiller le meilleur que recèlent les profondeurs de l’homme. A commencer par une chose essentielle : l’émerveillement. Combien d’entre nous ont conservé cette capacité à regarder une chose ou un être sans a priori, de se laisser toucher par ce que cette chose ou, a fortiori cet être, disent d’une beauté ou d’une vérité plus grande ? Qui a déjà été sensible à ce que, parfois, les choses visibles, parfois banales, nous parlent de l’invisible, de l’inattendu, de l’inconcevable de Dieu ?

Les mages dont nous parle l’Évangile, eux, ont conservé cette simplicité et cette disponibilité intérieures, bien plus que les croyants-pratiquants « pur jus » de l’Israël antique, qui, eux, dans leur immense majorité, ne verront rien. Ces mages sont en tout cas totalement étrangers à la foi juive, ne connaissent rien des prophéties, ne sont formatés par aucune vision préalable de ce qui est en train de se passer. Leur quête spirituelle est une recherche du divin par des chemins de traverse, hors des sentiers battus d’une foi qui ne connaît que trop bien les mots de son expression, au risque d’en perdre la sève… Ils scrutent les étoiles, selon les lois de l’astrologie babylonienne, ils pratiquent sans doute la divination et la science des rêves. Bref, ils cherchent, ils cherchent partout où c’est possible, avec des moyens parfois étonnants à nos yeux d’hommes et de femmes nés d’une civilisation rationaliste qui a fait de la matière la mesure de toute chose. Il est de bon ton, aujourd’hui, de se gausser des quêtes spirituelles maladroites de nos contemporains, de fustiger leur désir de se connaître mieux, d’élargir leur esprit… en mettant tout cela sous l’appellation honnie de « New-Age », qui fleure bon le souffre et la secte. Ce dernier mot, dans le contexte français qui est le nôtre, suffit à lui tout seul à provoquer une réaction quasi-hystérique. Il est devenu une insulte. Avec la commisération de celui qui sait et qui a raison, il nous arrive de regarder de haut les tâtonnements erratiques de nos semblables lorsqu’ils courent d’une religion à une autre, d’un Temple à une chapelle, à un stage de découverte de ceci ou cela, lorsqu’ils ne sont pas tout simplement accros aux voyantes et autres médiums. Et nous les montrons du doigt. Il leur suffit, disons-nous un peu naïvement, de se convertir aux Christ et tout ce qui est nécessaire leur sera donné. En oubliant peut-être, dans cette manière simpliste de regarder les êtres et leur cheminement, que notre temps ne tolère plus les choses que l’on fait sans les avoir examinées, choisies, soupesées. « Qu’est-ce que la vérité » s’exclamait Pilate en face du Christ, qui se garda bien de répondre quoi que ce soit, lui qui EST cette vérité. Mais c’est une vérité qui se laisse trouver, parce qu’elle est invitation et non décret.

Et que faisaient les Mages en route vers le Christ par des chemins déconcertants, si ce n’est pratiquer, comme tous les mages de leur époque les sciences divinatoires et autres pratiques occultes ? Un certain savoir, peut-être biaisé, peut-être impur et condamnable, leur a fait lire dans le ciel l’avènement d’une naissance qui allait bouleverser l’univers. Et c’est en faisant le lien entre ce savoir hors norme et la prophétie, c’est à dire la tradition d’Israël, qu’ils ont trouvé leur route. Mais il leur restait encore un pas à franchir : discerner, au-delà de l’enfant, la Présence même, en hébreu la Shékinah, « Dieu-avec-nous ». Et c’est ce pas ultime franchi, qu’avec une incontestable liberté intérieure, eux qui étaient de grands personnages dans leurs pays respectifs, ils se sont inclinés devant ce bébé en apparence insignifiant. Et qui se serait permis de leur dire que leur quête de l’Absolu, passant par le biais de pratiques que l’Église condamne aujourd’hui, et à juste titre, n’était finalement pas très « catholique » ? N’étant bénéficiaires d’aucune prédication apostolique (et pour cause), d’aucune adhésion au monothéisme de Moïse, ces hommes sont arrivés à Jésus au prix d’un long chemin qu’ils ont emprunté seuls, sans aide, mais déjà, probablement, au cœur même de leurs pratiques « déviantes », inspirés par l’Esprit qui n’est limité ni par les mots ni par les murs, fussent-ils ceux des églises, pour nous conduire d’où Il vient, c’est-à-dire jusque dans le cœur du Sauveur.

Cet Évangile ne parle pas seulement du Christ universel parmi les nations. Il parle du Christ universel comme source et destination, même inconsciente, des coeurs qui cherchent l’Absolu, qui cherchent un au-delà de soi qui serait la Vérité Universelle parmi les quêtes spirituelles, même les plus désordonnées. Il est là, Il veille, Il n’est pas limité dans ses moyens d’attirer à Lui l’âme assez capable de renoncer à ses prétendus savoirs pour entrer dans la confiance qui accepte de se laisser façonner et transformer. Ce ne sont pas ceux qui sont riches en mots de la foi et en formules d’Église qui sont les plus proches du Royaume mais ceux qui ont vraiment faim et soif de la seule justice qui ne passe pas, celle d’En-Haut.

Père Émeric DUPONT

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