Un chemin qu’Il puisse prendre

5 décembre 2010

« Le cœur de l'homme est tortueux et mauvais. Qui peut y entrer ? ». Ce n'est pas moi qui le dis, c'est Jérémie, le prophète (Jr 17,9). Le constat est clair : au panorama des paysages intérieurs, l'être humain est champion du monde toutes catégories de la complication et de la division, nous sommes des cœurs malades. Nous ne voulons pas le mal que nous faisons, mais nous le faisons quand même. Le bien que nous voudrions, bien sûr, nous sommes souvent impuissants à l'accomplir. De nos rêves de grandes réalisations généreuses, ou simplement de notre profond désir d'aimer au réel qui est le nôtre, l'écart est souvent insupportable. Si décevant qu'il ne reste, pour boire la pilule amère de ces mille et un petits dégoûts de soi, que les sucreries trompeuses de nos illusions sur nous-mêmes. Nous nous fabriquons un masque social, prenons des attitudes, des poses, répétons des phrases que nous avons entendues ailleurs, parlons pour ne pas dire grand-chose, et puis nous nous étourdissons! Les divertissements ne manquent pas, qu'ils soient sérieux ou futiles, nous ne cessons de nous fuir nous-mêmes.

Serons-nous consolés de savoir que rien n'a vraiment changé depuis Jérémie le prophète ? Que nous ne sommes probablement ni pire ni meilleurs que ceux qui nous ont précédés. Une chose est sûre : quelqu'un, dans le désert, a voulu mettre le feu à ces cœurs fatigués d'eux-mêmes. Avec sa voix d'ouragan et ses cris de lion, Jean est venu réveiller les âmes attiédies de ses contemporains. Avec la vraie force dont seule une véhémente douceur est capable, il a touché du doigt là où, souvent, cela fait le plus mal. Complaisance, affadissement, mesquinerie, combines avec soi-même, assoupissement des consciences… la liste est longue. Mais il est venu montrer sans juger, il est venu ouvrir un chemin totalement inédit. Non pas un chemin de l'homme vers Dieu. Car ce Dieu que nul n'a jamais vu, qui saurait dire où le trouver ? Par quels endroits passer pour le débusquer ? Il ne le sait que trop, le Dieu d'Abraham n'est saisissable ni par un nom ni par une image. Toujours au-delà, toujours plus grand. Alors c'est Lui qui viendra. Depuis Jean-Baptiste et Jésus, il sera même essentiellement qualifié ainsi : « Celui qui vient »… Celui dont la caractéristique principale est de venir. Mais s'il vient, où va-t-il ? Que cherche-t-il ? C'est un Dieu éperdu d'amour. Il vient reprendre ce qu'il avait perdu, mais il vient reconquérir cette place forte non comme un guerrier mais comme un fiancé, avec une douceur et une délicatesse extrêmes, par la persuasion. « Je l'emmènerai au désert et là je murmurerai à son cœur comme un fiancé parle à sa fiancée » s'exclame le prophète Osée. Ce qu'il cherche avec une telle ardeur lorsqu'il s'écrit « homme où es-tu », c'est ce cœur divisé et malade, tortueux, décevant, inconstant. Avec la clairvoyance aiguisée qui caractérise les prophètes, le Baptiste entrevoit le drame: ce Dieu qui vient à l'homme qui est inaccessible à Dieu, enfermé dans ses contradictions internes, incapable de se laisser faire. Dans une formule ramassée, percutante comme un coup de poing, Jean interpelle les consciences : « préparez les chemins du Seigneur, aplanissez sa route! ». Et comme signe de cette nouvelle manière de vivre, il va proposer la plongée dans ce fleuve qui sépare les terres païennes de celles offertes par Dieu à Israël. Un baptême de conversion du cœur qui commence à une frontière, sur cette ligne étroite qui passe en plein milieu de nous, entre la part avide et idolâtre et la part déjà rachetée et sauvée, car il y a en nous cette même frontière, aussi large que le plus large des fleuves.

Aplanir la route, le laisser entrer, faire tomber les barrières entre lui et nous. Elles sont nombreuses. J'en citerai quelques-unes, elles résonnent comme des slogans mortifères: « Je n'ai besoin de personne », « il n'y a pas de droit à l'erreur », « je n'ai rien à me reprocher », « le plus fort gagne », « pardonner c'est avoir le dessous », « croire c'est renoncer à penser par soi-même », et la liste pourrait s'allonger à l'infini. Ces petites incantations intimes que nous nous répétons à l'envi sont autant d'obstacles sur la route du Très-Haut, la route qui le mène jusqu'à nous, jusqu'au cœur de nous-même, dans cet intime dont la porte est bien souvent fermée, et c'est d'abord au premier chef à nous qu'elle est fermée. Là où il aimerait tant entrer, là où je suis moi-même, sans masques ni fard, vulnérable comme l'enfant qui vient de naître. Le Père vient retrouver son enfant perdu mais l'enfant perdu a fini par se retrouver barricadé, croyant se protéger, de mille et une attitudes de rejet de cette vulnérabilité ressentie comme une faiblesse, qui est pourtant la manière même dont Dieu a choisi de s'approcher de nous. Et puisqu'il vient, puisque c'est lui qui fait la route, rendons-la plus facile cette route, laissons-le entrer et tant pis si tout en est chamboulé, car c'est ainsi que naît la vie.

Père Émeric Dupont

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