QUE DEMANDER ?

17 octobre 2010

L'autre jour, je lisais et relisais cet Évangile et je me demandais: au fond, quel choc veut produire en moi ce texte, quel questionnement veut-il faire naître ? Quelle image ou contre-image veut représenter ce juge irrespectueux de Dieu et des hommes ? Comme si pour nous parler de la manière dont ce juge peu soucieux des autres finit par rendre un jugement acceptable, Jésus déplaçait tout simplement notre attention vers Dieu, qui parfois, lui aussi, pourrait nous paraître comme un juge irrespectueux de nos nombreuses demandes et prières.

Alors en lisant cet Évangile, en essayant de m'imprégner de lui, m'est venue une question : qu'est-ce que vivre, au fond ? Qu'est-ce que l'Évangile nous apprend sur la vie ? Réponse, ou tentative de réponse: ce passage d'Évangile, à n'en pas douter, nous révèle que la vie est désir. Je vis parce que je désire ce que je n'ai pas. Si j'avais tout, je ne vivrais plus. Et d'ailleurs la mort est définie ainsi, c'est le lieu où l'on est enfin comblé de cette part manquante, faite d'amour et de plénitude, de réponses, de sens, d'un « plus-de-vie » qu'au fond de nous-mêmes nous pressentons et espérons comme possible. Alors tout ce qui nous atteint, nous blesse, nous diminue, en particulier l'injustice, c'est à dire du malheur que l'on n’a pas provoqué soi-même et qui nous atteint dans nos fondations les plus assises, tout ce « moins de vie » peut nous faire perdre la foi. C'est ça qui est en jeu ici : nos demandes restées sans réponses. Dieu n'entend pas, pense-t-on, ou bien il s'en moque, ou bien encore il n'existe pas, ce qui serait l'hypothèse la plus simple. En tout cas, il n'est pas sous la main, il n'est ni instrumentalisable, ni susceptible de marchandage ou de troc… souverainement libre. Et ce qui fait que la pauvre veuve demeure dans une forme de fidélité à sa vie, c'est qu'elle ne se décourage pas de demander. Alors la question se pose: pourquoi un jour parvient-elle à ses fins ? Parce qu'elle y a mis de la quantité. Nous savons que Jésus définit souvent le règne humain comme celui de la quantité, des choses, de l'avoir. Mais Dieu, maintenant ? Face à lui, il n'y a nulle quantité qui tienne. Face à lui, seule la qualité peut avoir un impact. La foi, d'ailleurs, celle sur laquelle Jésus s'interroge « quand le Fils de l'homme reviendra », ne peut jamais être affaire de quantité, on n'a pas plus la foi si l'on fait plus de prière. Ce n'est pas, ça ne peut pas être la logique du « prier plus pour recevoir plus », ou bien alors nous aurions affaire à un Dieu si mesquin et calculateur, si comptable en somme, qu'il ne vaudrait effectivement pas la peine qu'on s'y intéresse.

Et si la foi est affaire de qualité, vient alors la question qui dérange, la question qui ne peut pas ne pas soulever quelque chose de vertigineux et d'inconnu quant à notre vie de foi, et cette question est : demandons-nous ce qu'il faut demander ? Demandons-nous ce qui nous est offert ? Si Dieu ne fait ni troc, ni marchandage, il offre bien au-delà de ce que nous imaginons. Relisons les Évangiles, mais oui, c'est évident ! Il va offrir sa vie ! Dans peu de temps, ce même Jésus qui enseigne à ses disciples va SE donner. Dans le repas de la dernière Cène, il dit « prenez et mangez » et qu'offre-t-il ? Du confort ? Une promotion sociale ? Du bien-être ? Non, il s'offre LUI-MÊME. Quel malentendu ! Nos prières trouvent peu de réponses ? Ne sommes-nous pas en train de demander des broutilles quand Il offre tout ce qu'il est ? Quand sa présence au coeur de nos vies est offerte. Mais nul ne peut la saisir par force. Il faut s'accorder à elle, accorder toute sa vie, chaque geste, chaque regard, chaque silence. Et c'est alors qu'elle est là. Elle l'a toujours été, et nous ne l'avions pas vue. Décidément, Dieu est trop petit pour l'homme, parce que sa grandeur est d'une simplicité et d'une limpidité telles qu'elles tiennent dans le creux de la main, insaisissables et fidèles. Toujours là et toujours au-delà. « Recherchez le Royaume de Dieu et sa justice, dira encore le Christ, et tout vous sera donné par surcroît ». La parabole de la veuve et du juge est l'exacte illustration de cette invitation. Cherchez Sa présence, elle est au-delà de tout ce que vous pourrez demander. Cherchez-la comme si vous l'aviez déjà trouvée car elle ne se cache pas, c'est nous qui nous cachons d'elle. Ouvrez dans votre vie l'espace qu'il pourra habiter pour y demeurer toujours et à jamais. Cherchons-le là où il est, chez l'autre, le voisin, l'ennemi, l'inconnu, le collègue, l'enfant qui joue, car c'est la réponse qu'il apporte à nos prières: « Je suis là, regarde. Mais toi, quand le Fils de l'homme vient, es-tu présent ? As-tu fait de ta foi une présence à ce monde et à Dieu ? » L'homme prie Dieu tant et plus qu'il en a peut-être oublié que dans l'Évangile et dans l'Eucharistie, il y a un Dieu qui prie l'homme d'être là où Dieu se tient, de ne pas déserter la relation, car pour qu'il y ait relation, il faut au moins être deux.

Père Emeric Dupont

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