« Que devons-nous faire? »

15 mai 2011

Pour ce dimanche, dit du « Bon Pasteur », où l’Église prie particulièrement pour les vocations sacerdotales, la figure de l’apôtre Pierre est mise à l’honneur dans la liturgie. Les Actes des apôtres nous le présentent en orateur de feu, capable de retourner les cœurs et de dire l’essentiel en peu de mots.

Ce qu’il en est de l’exacte teneur du propos de l’apôtre, nous l’ignorons. La foule, ou une partie de la foule, quoi qu’il en soit, parvient à un point très particulier lors de l’écoute d’un discours de conviction : elle cède. Ce qu’elle savait, ou croyait savoir, elle l’a mis de côté, jusqu’à le tenir pour rien. Ce qu’elle pensait du sujet de la discussion, elle l’a oublié. Elle remet la suite de ce qu’elle doit faire dans les mains de l’orateur, tout à coup reconnu comme chef digne d’être écouté et suivi : « que devons-nous faire? ». Comme si les certitudes passées avaient vacillé, comme si le chemin à prendre, pour étonnant et déstabilisant qu’il soit, ne pouvait être indiqué que par quelqu’un qui l’a lui-même emprunté.

Nous aimerions savoir ce que Pierre a dit à la foule, ce jour-là. Tout au plus devrons-nous nous contenter d’un résumé de deux lignes, que nous réduirons à quelques mots : la foule n’avait rien vu, ni rien compris. Le persécuté, Jésus, était en fait l’envoyé de ce Dieu que la foule elle-même cherchait à servir. Pierre, et c’est à peu près tout ce que nous savons de cette affaire, a mis en lumière une continuité, malgré les zigzags du parcours : la vérité et la lumière tant recherchées étaient dans un homme particulier, dont le message et la personne même ont été rejetés. Cet homme tant méprisé, c’est lui la clef qui ouvre le seul vrai chemin sûr et authentique qui mène à Dieu puisqu’il est lui-même son Verbe. Cet homme singulier, si concret et si marqué par la culture et la mentalité de son temps, cet homme est en fait l’universel fait chair. A travers lui, tous ceux qui viendront, d’où qu’ils viennent, dans les siècles futurs, pourront trouver la source de la vraie Vie.

Sans doute ne faut-il pas séparer le discours de Pierre de l’autorité pleine d’humilité dont il a su faire preuve, et dont l’épisode de l’infirme devant le Temple, épisode qui intervient juste après celui qui nous intéresse aujourd’hui, nous laisse entrevoir la puissance. « Au nom de Jésus, lève-toi et marche » est alors la parole qui remet l’homme debout. Pierre, qui en est l’auteur, semble alors être devenu un « autre Christ ». Sans doute l’autorité avec laquelle Pierre s’adresse à la foule s’enracine-t-elle dans la cohérence intérieure qui, en lui, n’a cessé de grandir. Ses trahisons passées ? Pardonnées ! Ses pulsions fougueuses ? Apaisées par le Ressuscité qui, une fois revenu de la mort, dit aux siens « la Paix soit avec vous ». Ses peurs ? Évanouies, dissipées par le souffle que le Christ a répandu sur ses apôtres en disant « N’ayez pas peur », ce souffle d’intimité d’amour qui l’unit au Père, et qu’il appelle « Défenseur » ou « Esprit-Saint ». Sans parler de sa particularité d’homme de Judée, tout à coup élargie par le don de l’Esprit, reçu à la Pentecôte, transformant ainsi l’apôtre en un « homme pour tous », vraiment universel, capable de toucher les cœurs.

Pierre n’est plus un messager. Il est devenu message. Ce qu’il vit, ce qu’il est, ce qu’il pense, ce qu’il fait, c’est tout un ! Et c’est le Christ ! Il ne s’appartient plus tout à fait à lui-même. Sans doute un « cocktail » de tous ces ingrédients a-t-il déstabilisé la pâle assurance de ses auditeurs. Il les a déracinés de leurs convictions sans racines. Il les a emmenés sur un autre plan de dialogue. Lequel ? Celui de l’axe de la vie. Il leur a montré que Dieu seul sait vraiment, que l’homme se trompe et se fourvoie. Pour suivre ce Dieu qui sait, il faut renoncer à nos faux savoirs qui nous font parfois persécuter le Christ sans en avoir conscience, il faut s’en remettre à Celui qui, lui, sait d’un savoir absolu : cet homme que tous appelaient « Jésus le nazaréen ». Et à cette perte, à cette dépossession du savoir sur Dieu et sur soi-même la foule, ou une partie de la foule consent, ce jour-là. Leur aveuglement leur saute aux yeux : ils sont comme des enfants qu’il faut guider, à qui il faut tout expliquer. On ne naît pas une deuxième fois impunément, sans que cela ne laisse de profondes traces…

Père Émeric DUPONT

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