Une « méthode » pour toucher les cœurs ?

29 mai 2011

La manière de témoigner, à l’œuvre dans la 1ère lecture de ce dimanche, nous ouvre d’intéressantes perspectives de méditation et de réflexion. On admire souvent, à juste titre sans doute, combien les premiers chrétiens étaient aptes à rendre leur témoignage ardent et communicatif, ou pour le dire rapidement à rendre le Christ présent par leur manière d’être et de dire.

On parle d’abord des apôtres comme un tout, comme un groupe soudé, dont le témoignage s’est accompagné de bien des signes. C’est à tort, semble-t-il, que l’on fait du « témoignage » un simple contenu verbal qu’il suffirait de redonner. Le témoignage, ce n’est pas cela. L’Évangélisation, ce n’est pas répéter naïvement à des passants « Jésus t’aime ». Le témoignage, ou l’Évangélisation, c’est se risquer soi-même, c’est risquer une parole personnelle. Et surtout, à en croire les Actes des Apôtres, c’est une manière d’être et de se tenir au milieu du monde qui porte l’espérance. Ce sont des actes, cohérents avec cette parole, qui manifestent un souci de l’autre, et un désir de faire reculer le mal qui frappe, qui avilit, qui défigure cet autre. Il est dépassé, le temps où l’on séparait, d’une part, sans doute un peu teintée d’idéologie, le christianisme anonyme des « enfouis », qui ne disaient jamais leur foi et se contentaient de la vivre, et d’autre part les « Évangélisateurs », qui se contentaient, croyait-on alors, de parler de l’Évangile sans forcément agir selon ses principes.

Dieu merci, ces vieux clivages sont derrière nous, et l’Évangile nous redit que les actes et les paroles forment un tout inséparable. C’est bien parce que les deux ont été manifestés par les apôtres, à la suite du Christ, que leur témoignage était rempli de force. Avec eux, des vies prisonnières retrouvent une nouvelle forme de liberté, la promesse du Christ s’accomplit.

Mais il y a une suite: l’œuvre des apôtres suscite la joie et la joie se répand dans la ville. Elle devient un critère et un signe de ralliement. Cette joie rend la parole de Dieu audible, et des populations entières deviennent alors capables de l’accueillir, alors qu’elles ne la connaissaient pas ou qu’elles lui étaient peut-être hostiles ou étrangères. D’abord le témoignage, les œuvres au nom du Christ, des vies transformées… Puis la joie qu’une telle présence suscite, joie qui dilate le cœur et fait tomber des ornières. Ce cheminement représente pour nous un grand intérêt. Nous qui disons parfois « Eh bien faisons lire la Parole de Dieu et les gens ouvriront leur cœur au Christ ». Vraisemblablement, dans l’Évangile, ça ne marche pas ainsi. Peut-être parce que la Parole, à l’époque, n’est pas écrite (je parle ici de ce que nous appelons aujourd’hui le « Nouveau Testament »), les premiers disciples savent que pour eux la « Parole », c’est d’abord « quelqu’un »! Non pas un texte, mais une voix, un souffle, une présence vivante. Cette présence les habite et ils sont, très concrètement, et au premier sens du terme, des « porte-Parole ». Cela passe par eux, nécessairement. N’ayant nul livre ou nulle institution derrière lesquels se réfugier frileusement comme nous le faisons parfois, lorsque nous laissons parler notre paresse ou notre tiédeur dans ces mots: « L’Église n’a qu’à » ou « Il suffit de faire lire l’Évangile », les disciples se savent, se sentent, en première ligne. Inconfortable, vu de notre douillet XXIème siècle en Vallée de Montmorency. Mais tellement proche de la radicalité des premières années après la résurrection de Jésus. Il ne suffit pas de lire un texte ou de répéter un catéchisme, fut-il écrit, de la main d’un pape (eh oui, même d’un pape !?!). Le témoignage c’est la Parole du Christ incarnée dans ma parole. Sa présence dans ma présence. Ce n’est pas « on » qui témoigne, c’est « je », et personne d’autre.

Inconfortable, ce statut de « porte-Parole », car alors on ne peut rouler pour soi, faire campagne pour son propre compte, ne compter que sur ses maigres talents. Il faut s’effacer, ne pas faire écran, entre Celui que l’on veut transmettre et celui ou celle qui écoute. « Il faut qu’il croisse et que je diminue » dit Jean le Baptiste à propos de Jésus. Peut-on imaginer parole plus fulgurante et plus vraie ?

Mais l’affaire ne s’arrête pas là. Dans la lecture des Actes, les samaritains, chauffés par le témoignage des disciples, sont alors prêts à recevoir le baptême dans l’Esprit. Une partie du travail a été fait, mais on discerne qu’il faut le mener à son terme. Cette évaluation, je crois qu’elle manque parfois dans nos communautés, tant il est courant d’apprendre que telle personne en recherche de foi a été accompagnée pendant un bout de chemin, puis « lâchée » tout à coup, comme par lassitude. Navrées, blessées, ces personnes, sentant bien qu’elles n’ont pas été préparées à fond à vivre du Christ, s’en repartent sans rien dire, sur la pointe des pieds… Désolant !

Dans les Actes, on finit le travail commencé. La communauté discerne qui elle doit envoyer, ceux qui ont les talents ou les qualités les plus adaptées pour cette mission, et voilà Pierre et Jean à l’œuvre chez les samaritains, parachevant l’œuvre d’engendrement dans l’Esprit Saint, la seule qui permette de se mettre debout et de devenir un chrétien adulte. Pas avant. Un appel, sans doute, à faire de notre communauté un lieu qui engendre des êtres debout, capables de témoigner à leur tour.
Père Émeric DUPONT

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