UN NOUVEAU RÈGNE

21 novembre 2010

UN NOUVEAU RÈGNE

Notre liturgie nous donne d'abord à contempler David, premier roi selon le cœur de Dieu ; autour de lui convergent les tribus d'Israël qui proclament que ce jeune berger est bien ce roi qu'ils reconnaissent. Officiellement, à Jérusalem et pour la cour, c'est encore Saül le roi. Un usurpateur, un roi tels que les hommes les chérissent et dans lesquels souvent le monde se reconnaît assez pour les porter au pouvoir : conquérant, égocentrique, infantile, impulsif, désireux de se servir d'abord lui-même. Saül va encore régner quelques temps mais déjà il ne règne plus. Le règne de David commence alors qu'il est encore invisible. Un petit nombre l'a reconnu. Mais un ordre nouveau se prépare, comme un feu couvant sous la cendre.

Et nous voici au coeur du renouvellement de notre temps liturgique. Dimanche prochain, et au coeur des dimanches qui suivront, nous commencerons par la fin… puisque nous nous tournerons vers Celui qui vient et c'est à partir de cette promesse que nous accueillerons la Parole comme le lieu de la proclamation du Règne. Et quel Règne ! En lui se renversent toutes les valeurs qui nous semblaient solides : puissance, pouvoir, autorité… du vent tout cela, un souffle qui passe. Car en vérité il n'y a pas d’autorité qui puisse tenir, autre que celle qui fonda cet univers, les lois physiques d'une extrême finesse et complexité, qui le mirent en marche et lui conservent sa cohésion, et enfin, l'oeuvre ultime, que de tout cela naisse une conscience qui puisse répondre à l'appel de son nom « me voici », petit univers au sein du grand cosmos, joyau pas moins impressionnant que l'écrin qui l'abrite. Et nous sommes des milliards ! L'autorité et le pouvoir selon les hommes ne sont qu'une folie, une chimère. Elle prétend régner sur un monde que nous connaissons si mal, sur des intelligences et des consciences au moins aussi éclairées que celle du gouvernant.

Il suffit de lire ces textes poignants de l'Ecriture pour pressentir que le vrai pouvoir, que la vraie autorité, sont ailleurs. Respectueux, infiniment respectueux des lois de la création qu'il a lui-même instauré, il se tient en retrait. Car c'est un règne qui dit « Je T'Aime », et qui ne dit que cela. Et cela commence dans la manière même de venir au monde, comme sur la pointe des pieds, dans une humanité si fragile dans sa dépendance qu'un rien peut la détruire. L'humanité des exclus, qui n'ont pas un seul endroit pour les accueillir. L'humanité des pécheurs qui au Jourdain vont reconnaître leur histoire cabossée pour que Dieu puisse en raviver le désir de beauté et de vérité. L'humanité des condamnés par l'injustice des hommes, des torturés de tous les temps dont les cris ont été oubliés. C'est fou comme Jésus a su incarner ce qu'est l'homme du commencement à la fin, dans tous ses états. Et là, sur la croix, la voici enfin révélée à elle-même, cette humanité clouée à son impuissance, incapable de se sauver elle-même, vouée à une mort qui fait ricaner ceux qui ont peur et qui dissimulent leur frayeur sous des sarcasmes. Et voilà l'abîme, l'abîme de néant et d'horreur que Dieu lui-même, en pleine conscience, a librement choisi de traverser. En étant homme de la crèche à la croix, Jésus nous tend un miroir. Il nous montre notre inéluctable trajet jusqu'au scandale de l'absence. Et pour quelques-uns, très vite, l'évidence se met à parler: cette mort n'était pas l'échec d'un projet humain mais l'Acte I d'une offrande d'Amour, un « Je T'Aime » offert, corps et âme, dans les blessures et les outrages, défiguré d'avoir été si incompris. Il est mort comme un moins que rien, mais c'était un roi, c'était notre Roi.

Et tandis que la marche du monde a très vite repris, deux mille ans ont passé et nous voici au coeur de ce règne qui est là, et qui vient, et qui ne cesse de venir. Car il vient comme il a commencé, sur la pointe des pieds, à chaque fois que l'humanité est rendue à sa beauté oubliée, à chaque fois qu'un seul de ses petits se remet debout, ose, sourit, espère, crée, pardonne. Il est pour toi, ce Règne, toi le malade souffrant seul, sur ton lit. Pour toi le sans logis, le sans-papiers, trimbalé de lieux en lieux, toi l'incompris, le rejeté, le déprimé, le dépendant, toi qui depuis ta jeunesse a fini par croire ceux qui disaient que tu ne valais rien, toi qui ne sais plus où tu en es, qui crie dans l'obscurité « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mas-tu abandonné ? »… Toi qui chaque jour meurt un peu plus, toi qui a traversé des épreuves qui ont laissé des marques sur ton corps et ton âme, toi qui a été tant déçu par les paroles des autres que même la Parole de Dieu te fait douter qu'il y ait pour toi un chemin qui mène à la vraie vie… Il est venu pour toi, ce Roi. Il a vécu tout cela. Il est ton frère à tout jamais. Pas une fraternité de gens choisis et impeccables, un petit cercle d'entre soi, mais une fraternité de galères et de joies, un corps à corps avec le monde qu'il ne cesse de partager avec toi à chaque instant où tu y es disponible.

Il est là, l'ultime témoignage, avec ce corps brisé et cloué au bois de l'absurdité du monde: ce Dieu-là ne veut que ton bien. Il le respire, le pense, le désire, par tout ce qui fait sa vie immense et sublime. Que tu vives et que vives de tout ce qu'il veut t’offrir, voilà semble-t-il, nous dit l'Evangile, son idée fixe. Car l'épisode de David nous offre la magnifique métaphore de ce règne plus grand qu'il ne faisait qu'esquisser. Un petit groupe représentant les douze tribus, symbole de la totalité du monde, vient reconnaître celui dont tant de gens ignorent encore qu'il est Roi, qu'il est choisi. Et tandis que dans la folie des jeux du pouvoir les intrigues continuent, berçant des peuples entiers dans l'illusion que le vrai pouvoir est sur la terre, aux mains des puissants, souffle un grand vent de liberté et de courage dans les cœurs de ceux qui veulent reconnaître l'autre règne qui a commencé et qui travaillent pour lui, accourant autour du Roi comme ils l'ont fait pour David en lui disant cette phrase merveilleuse qui résume tout: « nous sommes de même sang ».

Père Émeric Dupont

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