L’heure du réveil a sonné, c’est maintenant

28 novembre 2010

« Veillez donc, car vous ne connaissez pas le jour où votre Seigneur viendra »… à vrai dire cet appel est gênant si on le prend au sérieux. Veiller jusqu'à ce qu'il revienne, dit-il ? Veiller combien de temps ? Demain ? Après-demain ? Et le jour suivant ? Etre attentif, regarder ce qui se passe, TOUT ce qui se passe. Ne fermer les yeux sur rien, ni par lâcheté ni par compromission: aucune injustice, aucune mesquinerie, aucune violence du fort contre le faible… même (et surtout !) les nôtres. Comme les prophètes n'ont jamais cessé de le dire en leur temps: il y a urgence à veiller ! Les remparts de la dignité humaine, du respect de l'autre comme s'il était un autre nous-mêmes, les fragiles remparts de l'amour désintéressé, tous ces remparts qui séparent la civilisation de la barbarie, sont menacés. Attaqués qu’ils sont sans cesse et sans pitié.

Un enfant maltraité, une personne âgée ou dépendante humiliée, un démuni que des administrations ballottent sans ménagement d'un service à l'autre, une personne accusée injustement, et toutes les victimes de mille et unes vilénies dont l'homme est parfois capable envers l'homme… ce sont cela, les attaques qui menacent non seulement la paix mais aussi la cohérence d'un monde où le vivre-ensemble serait possible, non par contrainte mais par choix, non pas seulement comme un endiguement légal de la violence naturelle des humains, mais comme les prémices d'une civilisation de l'amour que l'Eglise appelle de ses voeux. La cité des hommes a besoin, grand besoin de veilleurs, de prophètes, d'éveillés. Je ne dis pas d'être hors du commun, capable à eux seuls de sauver le monde, non. Juste des veilleurs, qui à la faible lueur de leur lampe voient arriver de loin les assauts les plus sournois et qui disent: ce n'est pas normal, c'est une anomalie, c'est injuste. Ces veilleurs n'ont ni besoin d'être forts, ni d'avoir la voix qui porte loin. Il suffit qu'ils soient là et qu'ils se tiennent debout, qu'ils mettent toute leur énergie à refuser la complaisance envers le mal, qu'ils désirent autant qu'il est possible offrir au monde la faible lumière dont ils sont porteurs et qui ne vient même pas d'eux. Les veilleurs n'ont pas besoin d'être des héros, ils ont juste besoin d'être attentifs au monde tel qu'il est, qu'ils ne cherchent pas à en fuir les graves incohérences dans des distractions artificielles, et que par toute leur vie ils disent « non! », ce n'est pas le monde que Dieu désire faire naître. Les veilleurs n'ont pas besoin d'être exceptionnels, il suffit qu'ils donnent des yeux grands ouverts à leur désir d'aimer.

Car l'aube arrive, c'est une promesse. Au coeur de la nuit, alors qu'on ne voit pas encore les prémices du jour, elle est déjà là. Un veilleur, c'est aussi quelqu'un qui regarde plus loin. Ce n'est pas un utopiste. Il ne dit pas « ça ira bien demain », il dit « ça peut aller mieux aujourd'hui, ça passe par nos pauvres mains ». C'est un artisan aux mains vides. Il n'a rien d'autre à offrir que sa pauvre espérance qui ne sait même pas de quoi sera fait le Royaume de Dieu tant attendu. Isaïe en parle pourtant: « De leurs épées ils forgeront des socs de charrue, et de leurs lances, des faucilles. On ne lèvera plus l'épée nation contre nation, on ne s'entraînera plus pour la guerre ». La violence désarmée, enfin. L'extraordinaire vitalité de l'homme enfin convertie en puissance de vie et d'amour, la fin de ce gâchis des guerres et des conflits, des rancœurs, des convoitises destructrices, des manques d'amour héréditaires qui ont démoli tant et tant de vies. « C'est pour quand? », me direz-vous. Un veilleur selon l'Evangile vous répondra: « c'est pour maintenant ». C'est dans tes mains. C'est ta mission. Tu peux en dessiner l'esquisse par ta propre vie. Oh, ce ne sera qu'une esquisse, une idée très lointaine de ce que ça peut donner à grande échelle. Mais tu peux vivre comme un citoyen de ce Royaume ici, au coeur de ce monde. C'est un Royaume qui est là dès que deux ou trois désirent vivre de ses lois. Il est fort et fragile. Il s'évanouit comme un rêve dès qu'une force aveugle, une parole mesquine, un regard malsain, en brouille les contours. Il ne sera jamais le fruit d'une idéologie ou d'une révolution humaine, il vient de plus haut que le coeur de l'homme et le traverse comme une parole qui vient au monde pour le transformer autant qu'elle veut nous transformer nous-mêmes. Car le Royaume c'est d'abord nos vies transformées, radicalement. Par l'Evangile enfin entendu dans toute sa profondeur, avec les oreilles du coeur. Par la présence sacramentelle du Christ, qui par sa simple présence au milieu de nous fait exister le Royaume, c'est-à-dire un lien ténu de fraternité indestructible et inconditionnelle dont il est lui-même le coeur. St Paul l'avait bien compris, lorsqu'il affirmait que le Royaume est une réalité si concrète et si présente à nous-mêmes, que la joie d'une telle nouvelle devrait à elle seule nous donner la force de surmonter les forces contraires, elles sont nombreuses. C'est vraiment LA Bonne Nouvelle dont notre humanité a besoin pour effectuer cette « conversion », ce changement de cap, que nos initiatives individuelles peuvent déjà initier, même d'une manière infime. Nous n'avons pas besoin d'une humanité parfaite mais d'une humanité qui écoute, enfin disponible à cette parole de vie, inaugurale comme un premier matin: « C'est le moment, l'heure est venue de sortir de votre sommeil. Car le salut est plus près de nous maintenant qu'à l'époque où nous sommes devenus croyants. La nuit est bientôt finie, le jour est tout proche. Rejetons les activités des ténèbres, revêtons-nous pour le combat de la lumière ».

Père Émeric Dupont

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