SERVITEURS DE LA CHARITÉ

22 mai 2011

Très vite, les toutes premières Églises (qui étaient encore des noyaux d’Églises), alors que les apôtres étaient encore vivants, ont été confrontées à une sorte de grand écart : la Parole de Dieu ou la charité fraternelle ? Étrange questionnement, pour nous à qui il semble si évident que c’est tout un ! Ce serait oublier un peu vite, sans doute, combien pour nous aussi, l’écart demeure un problème tant l’unité de l’un et de l’autre, dans notre propre vie quotidienne, est difficile à faire.

Dès qu’une communauté se formait, elle n’avait pour points de repères (le Christ étant parti) que la Parole divine, que l’on trouvait alors essentiellement dans ce que nous appelons aujourd’hui « l’Ancien Testament », et dans les gestes et paroles du dernier repas du Seigneur. Autour de ces quelques points de repères et piliers, elle avait organisé son quotidien.

Mais dès lors que quelques humains se réunissent et s’organisent, se pose alors l’inéluctable question : que faire de ceux qui voudraient en être mais qui ne le peuvent pas (trop pauvres, trop malades, trop vieux, trop éprouvés par le malheur) ? Que faire de ceux qui ne sont pas à l’intérieur des murs, mais qui pourtant peuvent espérer également être traités en frères et soeurs malgré la distance physique ?

Quand il s’agit d’atteindre des objectifs, de réunir ceux qui semblent les plus efficaces pour y parvenir, la question ne se pose même pas: « No time for losers* », comme disent les anglo-saxons. Mais dans le cas d’une communauté, d’une famille spirituelle ? Un membre affaibli doit-il être exclu s’il ne peut venir ? Saint Paul n’enseigne-t-il pas que nous devons prendre soin des membres les plus modestes du corps physique, donc il doit en être de même pour le corps ecclésial ? Jésus n’a-t-il pas insisté, dans la parabole du Samaritain, sur le fait que le prochain est potentiellement tout être humain ?

La question de la charité fraternelle a été un « poil à gratter » pour les apôtres, comme elle a été un aiguillon pour la première Église, celle de Jérusalem. L’oublier, c’est construire une communauté fermée, composée uniquement de « bien-portants », de semblables. Or Dieu, dans toute l’Alliance, ne cesse-t-il pas de prendre le visage de la veuve, de l’orphelin, du laissé pour compte ? Le visage de l’Autre, avec un grand « A », celui qui ne peut être réduit au semblable, au connaissable, au familier. Alors les apôtres ont appelé 7 hommes de « bonnes moeurs », pour les soulager de ce ministère si dévorant qu’ils ne pouvaient accomplir à eux seuls. Ces ministres d’un genre nouveau furent appelés serviteurs, diakonoï en grec, qui a donné le mot « diacre ». On peut presque supposer que le diaconat, dans l’Église, naquit avant même le presbytérat.

Mais que faire des diacres, ces encombrants missionnés, dont la présence ne cesse de rappeler l’urgence du dehors, les appels du monde, les malheurs de l’injustice et de la peine ? Comme si Dieu lui-même avait suscité en son Église un ferment d’inquiétude, au bon sens du terme. L’inquiétude, ce qui nous empêche de nous endormir sur nos deux oreilles.

Dans une communauté comme celle de St Leu, il n’y a pas encore de diacres ordonnés. Cela changera sûrement, au fil des années. Des services de la charité, au travers des Conférences St Vincent de Paul ou du secours Catholique, nous rappellent à notre devoir de charité fraternelle en actes. Elle commence souvent par une conversion de regards sur l’Autre. Cette conversion commence simplement, parfois, par une plus grande ouverture de l’attention aux situations oubliées, comme celle de la solitude des êtres, véritable cancer de notre société, et d’autant plus terrible qu’elle ne fait aucun bruit.

Mais il ne faudrait pas oublier que la mission du diacre, le témoignage des engagés dans les dimensions caritatives de la vie chrétienne, ne sauraient se substituer à la prise de conscience de chacun. Sa plus simple expression serait peut-être de veiller, avec bienveillance et discrétion, à ce que la famille des cathos de St Leu ne devienne jamais un club fermé où il fait bon être entre soi. Beaucoup de personnes nouvelles viennent frapper à la porte de l’église depuis quelques mois. Les avons-nous remarquées ?

Père Émeric DUPONT

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