La vengeance est un plat au grand banquet de la Paix

12 décembre 2010

« Voici votre Dieu : c'est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu », entendons-nous aujourd'hui dans le livre d'Isaïe. Voilà sans doute de quoi frémir. Mais la phrase qui suit semble fâcheusement contraster avec la précédente : « Il vient lui-même et va vous sauver ». Drôle de vengeance !

Indiquons d'emblée que le mot hébreu signifie plutôt « sanction », conséquence juridique, payement… Comme l'idée d'une réponse implacable, c'est-à-dire non négociable, à une situation donnée. Même adoucie, l'idée d'une telle conséquence par a+b fait tout de même frissonner. Alors il faut sans doute expliquer cet « implacable » dont le Seigneur semble capable, s'impliquant dans une action qui ne souffre ni retard ni atténuation, un engagement de soi si total que rien ne l'arrêtera. Il ira jusqu'au bout.

IMPLACABLE, le désir brûlant du Père de faire de l'homme un reflet de Lui-même, l'image de Sa grandeur et de sa Lumière. Et qu'importe le péché originel, qu'importe l'égocentrisme, qu'importent les éloignements de cette créature si décevante qu'est l'homme, il a été choisi comme héritier. Sa conscience capable de liberté est le lieu où se dit le possible de Dieu. Il ira jusqu'au bout de sa reconquête du cœur de l'homme. Qu'importe le temps que tout cela prendra. « Ils reviendront, les captifs rachetés par le Seigneur, […] un bonheur sans fin illuminera leur visage; allégresse et joie les rejoindront ».

IMPLACABLE, l'engagement de Dieu dans ce « plan de sauvetage » de l'homme en perdition, loin de sa source, loin de ses repères, livré aux seules considérations marécageuses de son mental amoindri. Il faudra bien que la guérison vienne. Et c'est maintenant. L'homme aimant donne à l'homme l'amour de Dieu qui guérit, qui réconforte. Et si « s'ouvriront les yeux des aveugles et les oreilles des sourds » c'est par nos mains missionnées qui disent le réconfort, qui dessinent un chemin qui traverse la croix pour offrir une vie possible. « Fortifiez les mains défaillantes, affermissez les genoux qui fléchissent », parce que c'est entre nos mains que Dieu s'est livré, nous seuls pouvons le transmettre désormais. Les mains humaines l'ont tué, les mains humaines l'offrent comme vie nouvelle à d'autres hommes.

IMPLACABLE, le jusqu'au-boutisme de cette implacable volonté de guérir l'humanité de sa souffrance originelle. Il devra entrer dans la misère de l'homme, l'habiter, la subir sans jamais chercher à fuir, l'assumer jusqu'à son terme odieux : la condamnation absurde, l'exclusion, la souffrance extrême, et le tombeau, comme un point presque final. A celui qui se noie, il ne suffit pas de crier, même très fort, qu'il est en train de se noyer. Il faut se jeter à l'eau. Dans les eaux de notre condition humaine, le Créateur a plongé en adressant Son Fils, l'Ultime Message. Il a plongé dans notre mort pour nous en faire sortir avec Lui, en nous menant sur la rive de la Vraie Vie.

IMPLACABLE, enfin, l'exigence du réveil. « Homme, qui suis-je pour toi », ne cesse-t-il de demander à longueur de pages d'Évangile. Et dans celui de ce dimanche, il interroge encore: qu'êtes-vous venus chercher auprès du Baptiste ? Est-ce son apparence ? Est-ce son prestige ? Non. Ce que vous êtes venus chercher transcende tous les paraître, vous avez répondu à la voix qui criait dans les déserts de nos vies qu'une autre vie est possible et que c'est maintenant. Et quelque chose en vous a cru que c'était vrai, qu'il fallait plonger à notre tour, là où il nous attend. Mais Jean-Baptiste ne savait pas qu'il était Jean-Baptiste. Un précurseur qui s'ignore, un homme qui se sait, qui se croit, tout petit, minuscule, au regard de Celui qui vient après lui. Mais est-ce Jésus ? Comment en être sûr ? Et nous, savons-nous toujours ce que nous faisons lorsque nous essayons d'être vrais, d'être tendres, d'être fermes ? Savons-nous quelle force nous tient debout, quelle lumière transpire, même timidement, à travers nos pauvres gestes et paroles ? Nous ne sommes que les signes d'un bouleversement qui nous dépasse, celui du Roi des rois qui, à travers nous, œuvre à la réalisation de cette immémoriale promesse: « les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres ».

Il arrive, et c'est un miracle alors, que par nous et souvent malgré nous, le salut vienne rejoindre des êtres perdus, incapables de s'orienter, de comprendre, d'aimer, d'espérer. Nous sommes alors des « Jean-Baptiste » mais nous le sommes d'autant plus que nous penserons n'y être pour rien, car moins il y a de nous, plus il y a de Lui… Moins nous serons, et plus Il sera.

Père Émeric Dupont

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