50 ans de ministère presbytéral, par le père Michel Thoorens.

29 juin 2013

       2ème partie : Les années qui précédèrent et suivirent Vatican II

En deux jours nous avions descendu la Rance à l’aviron dans des canots de l’armée. Le soir, nous nous étions réunis sous le cap Fréhel face à la mer, sous un ciel étoilé. Je m’étais trouvé dans mon univers familier de la mer, rêvant à la délicieuse élue que j’emmènerai au-delà de cette mer que je contemplais.

Mais le Bon Dieu me prit à mon propre piège. En effet le père Le Bourgeois, nous fit méditer sur le «notable» de saint Luc, généreux, prêt à répondre à l’appel du Christ, mais y renonçant à la suite de son insertion dans la société. Si le père Le Bourgeois nous avait parlé du prêtre concerné dans sa paroisse par le catéchisme, les enfants de chœur et les dames pieuses, je n’aurais certainement pas prêté attention à ce qu’il nous disait. Au contraire, il nous parla du décalage dont avaient souffert, pendant 5 ans, les prêtres prisonniers de guerre et les déportés, entre leur culture ecclésiastique et celle de leurs camarades de captivité. Les prêtres-ouvriers avaient éprouvé la même difficulté pour entrer dans la culture ouvrière qui n’était pas la leur. Dans l’optique du père Le Bourgeois, si quelques uns d’entre nous pensaient un jour au sacerdoce, nous avions la chance d’appartenir à la même « société sécularisée » que nos contemporains loin de l’Eglise, ce qui n’était pas le cas des prêtres de l’époque, passés par les petits séminaires ou les collèges catholiques.

Après un an de réflexion et de prière avec l’abbé Pouchain, vicaire de Saint Leu, je fis une retraite d’une semaine chez les jésuites de la villa Manrèse à Clamart  et j’entrai au séminaire en octobre 1953, à l’âge de 24 ans.

La crise de l’Eglise n’est pas due à Vatican II et à mai 68, comme certains le disent, en fait elle éclata 16 ans avant 1970 lors des condamnations de 1954. Par ailleurs, Vatican II est inséparable de la Seconde guerre mondiale. Mon père avait eu 21 ans en 1900, il avait fait partie du Sillon, dont le but avait été la réconciliation entre l’Eglise et la République. Dès 1941, il avait rejoint l’un des réseaux de Résistance des anciens du Sillon, il développait les pellicules des photos prises sur les sites à bombarder de la région parisienne, envoyées ensuite en Angleterre. Les aumôneries de lycée étaient orientées vers l’Action catholique, sans lien avec les paroisses, ainsi que le scoutisme parisien. Nous avions alors conscience de représenter l’aile marchante de l’Eglise, par opposition à la vie paroissiale.

En 1950,  à l’âge de 21 ans, lors de mon « départ routier » je connaissais l’alerte donnée en 1943 sur l’état de l’Eglise (27 ans avant la crise de 1970) par l’abbé Godin dans France pays de mission. Une 2° alerte venait d’être donnée en 1950 par le chanoine Boulard dans son livre Essor ou déclin du clergé français. Les livres du père Congar et d’autres théologiens allaient dans le même sens. Selon l’air du temps, le statu quo du Concile de Trente au XVI° siècle n’était plus tenable, sans des réformes urgentes en profondeur, l’Eglise et le clergé risquaient de s’écrouler.

Or, au lieu de la réforme urgente que nous attendions, ce fut la condamnation des théologiens et des prêtres-ouvriers en 1954, au cours de ma première année de séminaire, que nous avons vécue comme une « cassure » dans l’Eglise, 8 ans avant l’ouverture de Vatican II. « cassure » qui réapparut ensuite dans les années 1970. Le nombre des ordinations s’effondra bien avant Vatican II, puisque au cours de ces années sur une trentaine d’entrées au grand séminaire de Versailles à peine une dizaine était ordonnée.

1.700 ordinations en France par an en 1948,

850 en 1953, à mon entrée au séminaire,

600 en 1963, lors de mon ordination,

200 en 1970, au plus fort de la crise,

et une centaine par an depuis 1975.

Il y a donc deux lectures différentes de Vatican II, qui devraient pouvoir se compléter dans la sérénité, au lieu de s’opposer :

Les grandes réformes de l’Eglise, demandées une vingtaine d’années avant le Concile, notamment par le père Congar, un théologien de base de Vatican II, aboutirent aux textes présentés par les pères majoritaires, considérés à l’époque comme en « rupture» avec l’Eglise antimoderniste de Pie XII.

Par contre les textes présentés par les pères minoritaires, se trouvaient en  « continuité » avec l’Eglise antimoderniste de Pie XII.

Cinquante ans après l’ouverture du Concile, il ne faut pas occulter le chaos engendré dans l’Eglise catholique par les catholiques intransigeants entre 1965 et 1970. En effet, en voyant réapparaître les thèmes condamnés par Pie XII en 1954, ils estimaient que Vatican II changeait la religion, en faisant passer le catholicisme au protestantisme, d’où la violence de leur révolte. En conséquence, la pratique religieuse s’écroula et entre 5.000 et 10.000 prêtres abandonnèrent leur vie sacerdotale. Par respect pour eux, ne les oublions pas. L’avenir de l’Eglise est entre les mains des jeunes générations de laïcs et de prêtres, il est important cependant qu’ils soient au courant de ce qui fut vécu par leurs aînés à l’époque de Vatican II.

Michel THOORENS

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