DANGER SUR LA FAMILLE

30 décembre 2012

L’Égypte biblique est le lieu des conversions et des renouveaux, depuis Joseph fuyant la colère de ses frères et faisant fortune auprès de Pharaon, puis Moïse redonnant vie au peuple d’Israël jusqu’à cette petite famille menacée, à peine existât-elle, et y trouvant refuge. Dès son premier cri poussé, Jésus est l’objet de convoitises et de forces homicides. Le pouvoir politique sent que sous cet apparent dénuement, sous cette faiblesse si évidente et sans doute pour lui si méprisable, lui qui a toujours peiné à comprendre que l’essentiel n’est pas de posséder des choses qui sont destinés à disparaître, ce pouvoir-là veut faire disparaître Celui qu’il perçoit comme une menace.

Comment un nouveau-né seul, entouré de ses deux parents et de rien d’autre, ne disposant d’aucun appui religieux, politique ou économique, pourrait-il faire vaciller la puissance du grand Hérode, ami des romains et souverain de territoires entiers ? Nous le savons bien, il ne suffit pas de naître, il faut vivre. Et toute vie n’est qu’une immense naissance à ce que nous sommes. L’incarnation du Verbe a besoin d’aller au terme de ce qui l’a suscitée : elle doit assumer l’entièreté de la vie humaine, rien de moins. A ce moment précis de l’histoire, Jésus n’a ni forces pour se défendre ni parole pour interpeller les foules, ni même la conscience de soi qui donne une certaine assise dans le monde. Il n’est qu’une vie qui grandit, et à ce moment précis il n’est rien d’autre qu’une espérance de salut. Ce petit noyau familial vit déjà en contradiction avec les valeurs du monde, sa survie est menacée. Joseph prend alors la décision la plus sage, il bat en retraite, il se retire dans un endroit plus propice à la paix dont cette croissance du petit être a  tant besoin. Pendant ce temps, en Galilée, des centaines d’enfants furent passés par les armes, parce qu’Hérode voulait mettre à mort tous les nouveaux-nés mâles, de peur qu’un seul d’entre eux ne soit celui qui ferait vaciller son trône.

Une famille, c’est d’abord un lieu où, théoriquement, la vie est possible, la croissance de chacun se fait harmonieusement, où les parents apprennent à devenir parents, où les enfants acquièrent l’autonomie qui leur fera poser leurs choix, un jour, à leur tour. Mais aujourd’hui comme hier, ici comme en Galilée, la famille n’est pas un lieu exempt de toute menace. Et s’il n’y a pas de soldats ou de tueurs appointés qui parcourent nos rues, il y a la fragilité sur laquelle nos familles se fondent. Beaucoup de parents, je le sais, ont du mal à trouver les paroles et les attitudes justes, à écouter vraiment ce qu’il y a dans le coeur de chacun de leurs enfants, à faire de la famille un lieu où chacun devienne lui-même et non pas un lieu du culte de la performance à tout prix, où les enfants deviennent la projection des frustrations ou des névroses parentales. « Que dois-je inculquer à mon enfant ?» s’angoissent bien des parents d’aujourd’hui, avec peut-être plus d’appréhension que les générations d’hier, puisque « bien faire », nos le savons maintenant, ne va jamais de soi.

La famille de Jésus, elle, en sentant le danger venir, sait se mettre à l’abri sans s’enfermer. Elle sait revenir ensuite, et s’ouvrir aux valeurs fondatrices d’Israël pour que Jésus les connaisse et les aime. Mais très vite, Jésus sera « autre chose ». Il regardera ailleurs et plus haut. Et si tous nos enfants ne sont pas le Christ, j’allais dire « heureusement », ils sont appelés à le porter en eux comme nous essayons de le porter en nous. Ils sont le fruit d’un projet divin, qui, s’il passe par nous, nous échappe en grande partie. Jésus pourra quitter cette famille avec d’autant plus de facilité qu’elle aura su le protéger, lui donner confiance, ne pas lui transmettre d’angoisses inutiles. Si nous regardons nos enfants comme le fruit d’une promesse originelle, comme l’issue d’un projet venant de celui qui est la source même de la vie, y a-t-il lieu de nourrir pour eux une inquiétude extrême ? De se demander ce qu’ils deviendront, s’ils réussiront, s’ils gagneront plus que les enfants des voisins ? L’éducation au sens le plus noble du terme, ne nous commande-t-elle pas de mettre la confiance en premier, de la laisser guider nos pas, même si nous ne savons pas plus où nous allons que, probablement, la Sainte Famille n’était certaine de réchapper à ce massacre ? Pour Joseph et Marie, comme pour Dieu certainement, protéger ce qui nous est cher, c’est aller de l’avant, confiants sur cette puissance de la vie qui a déjà vaincu la mort.

                                    Émeric DUPONT, curé

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