Dieu danse-t-il?

17 décembre 2012

Lorsque le prophète Sophonie affirme de Dieu lui-même « il dansera pour toi avec des cris de joie », nous pourrions croire à une sorte d’anthropomorphisme un peu désuet, et nous n’aurions pas totalement tort.

Mais ne refermons pas trop tôt le chapitre… Car si à l’évidence nul n’a vu Dieu danser de ses yeux, et si l’attribution à Celui qui est au-dessus de toute image qu’on pourrait s’en faire, d’un corps humain et d’attitudes humaines peut sembler abusive et trompeuse, ne tirons pas de conclusions trop hâtives. L’exultation de Dieu est un thème fortement présent dans l’Ancien Testament, où tout au long de pages des psaumes, il est question de danses… humaines, certes… comme autant d’expressions de joie d’une humanité libérée. Et à plusieurs reprises, l’idée d’un Dieu qui partage la vie des hommes est reprise. Les divers sacrifices de la première Alliance, au Temple, sont l’occasion d’un repas « partagé avec le Seigneur », d’une manière symbolique. Qu’elles soient végétales ou animales, les offrandes faites à Dieu dont consommées ou consumées : une part pour les hommes, une part pour Dieu. Plus tard, dans les pages du Nouveau Testament, l’idée d’un Dieu qui agira face aux hommes selon ce qu’ils auront eux-mêmes vécu se précise. Dans St Luc par exemple : « Le Seigneur nous servira de ses propres mains. Il fera asseoir les siens aux places préparées, et s’avançant, il les servira des biens de son amour » (Luc 12,37). Le Maître servira ceux qui ont servi ! Inversion des rôles. Et pour ceux qui auront dansé pour Dieu ? Le Créateur dansera-t-il pour eux aussi ?

Bien des actes humains, dans les pages de la Bible, sont partagés par le Créateur. Lorsque le roi David danse devant l’Arche d’Alliance, signe à l’époque de la présence la plus concrète de Dieu, il ne le fait pas devant Dieu, mais avec lui. C’est l’expression d’une joie partagée ! Car nos latitudes occidentales et pseudo cartésiennes (n’ayant reçu de Descartes qu’un résumé tronqué et simplificateur par paresse de l’avoir lu et vraiment compris) ont discrédité le corps. Prier avec le corps, exulter, manifester sa joie par des gestes et pourquoi pas des danses… voilà qui semble à beaucoup d’entre nous parfaitement exotique et farfelu. Imaginer, au cœur d’une église, une prière dansée… voilà qui serait sans doute révolutionnaire à nos habitudes de tant distinguer le corps (supposé impur et déconnecté de la vie spirituelle) et l’âme (pure et vraiment près de Dieu car immobile et immatérielle). Mais Dieu merci, la tradition bimillénaire de l’Église est bien plus large que nos conceptions étroites du corps et de l’âme.

Jésus, aux noces de Cana, a dansé, comme tous les convives. Il a enseigné combien cette célébration de la joie humaine pouvait devenir un signe de ce que Dieu veut faire avec l’homme. Passer de la joie humaine à la joie divine… passer de la danse selon les hommes à la danse en Dieu. Un Dieu chorégraphe qui écrirait comment entrer dans une vie dansée, offrande de joie corps et âme. Quiconque n’engage que son âme dans sa vie chrétienne n’engage qu’une moitié de lui-même. Que faire de ce corps que j’ai ?

Jusqu’à Saint Augustin lui-même, que nul n’oserait taxer de fantaisiste, qui comparait la Trinité, la relation entre le Père, le Fils et l’Esprit Saint… à une danse d’amour éternel. La Trinité elle-même, selon lui, serait une ronde, un mouvement perpétuel, accompagnant ainsi les évolutions de l’humanité et voulant l’entraîner dans cette danse d’exultation. Qui a dit qu’on se reposait au Paradis ?

Père Emeric Dupont

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