Et c’était bien Lui, le Sauveur attendu ??

29 décembre 2015

Qui peut dire aujourd’hui qu’en entendant cette annonce « un sauveur nous est né », il en perçoit le poids de puissance dramatique ? Un sauveur ? Pour qui ? Pour quoi ? Et pour sauver de quoi, au fait? Ai-je encore assez de curiosité, de disponibilité, de fraîcheur, pour me dire qu’après tout je ne comprends pas bien cette histoire de sauveur. Nos héros modernes sauvent le monde en faisant des exploits. Celui que nous fêtons s’est contenté de naître. Les messies du XXIème siècle, qu’ils soient ou non prix Nobel de la paix, vont se retrousser les manches et changer le monde à coup de réussites spectaculaires. Le nôtre s’est contenté d’aller se faire arrêter et de mourir comme un vulgaire bandit de grand chemin. Les sauveurs d’aujourd’hui font de beaux discours à la tribune des nations unies, le nôtre a commencé par se taire, et il s’est tu pendant trente ans. Il s’est tu comme un petit enfant qui n’a pas la parole, et puis il s’est tu dans le silence de l’anonymat d’une vie toute ordinaire. Pendant son ministère public, il a si peu parlé au fond! Il a sans doute moins enseigné qu’il n’a écouté, les myriades de plaintes par centaines, par milliers: « Mon mari va mourir, mon enfant est malade, j’ai du mal à marcher, je souffre dans mon corps », etc… Autant de supplications qu’il peut y avoir de peines et de malheurs dans notre pauvre humanité.

Voilà qu’on me dit que je suis sauvé(e), que quelqu’un est venu pour ça. C’est beau, c’est admirable. Mais je ne me sens pas comme quelqu’un qu’on devrait sauver. Et me sauver de quoi ? A l’instant même je n’ai pas trop froid, je n’ai pas spécialement faim, je vais peut-être encore faire un bon repas tout à l’heure et peut-être même recevoir encore quelques cadeaux de plus. Non, vraiment, j’ai beau chercher, je ne vois pas de quoi j’aurais besoin d’être sauvé(e).

Alors posons-nous la question, allons au bout de notre démarche: était-ce la peine que Dieu en personne vienne jusqu’à nous? D’ailleurs le récit de la nativité nous le dit: même lorsqu’il est né, personne ne l’a reconnu, personne ne s’est précipité pour lui ouvrir la porte, puisqu’il n’y avait même pas de place dans la salle « pour tous» , où tout le monde a le droit d’aller normalement. Non, vraiment, une venue totalement inaperçue. Comme si Dieu avait raté son entrée. Vous cherchez un signe ? Un enfant qui pleure, qui a faim et froid, une toute petite chose fragile qui semble ne rien pouvoir nous apporter tant elle est démunie. Ce serait plutôt à nous de veiller sur elle. Et si au fond c’était cela, la révolution de Dieu ? Pas du tout ce qu’on attendait. Rien de clinquant, pas une once de bling-bling. Dieu n’est pas allé se pavaner à la cour d’Hérode, l’ancêtre de notre Saint-Tropez. Il n’a fait que passer, comme une brise légère, pendant une toute petite portion du temps de notre monde. Et il en est parti, nous laissant avec au cœur ce vide que rien de terrestre ne pourra combler.

Il s’est contenté de naître ? Et si c’était cela, le miracle, dans la fragilité même de la vie que Dieu a choisi d’habiter, pour nous dire qu’il l’aime d’un amour infini, qu’elle mérite d’être défendue dans sa dignité et dans son existence même. Et puis il est allé mourir comme mouraient les exclus et les ennemis publics, les bras grands ouverts cloués au bois dans le geste de l’accueil immense dont Dieu seul est capable. Désormais, toute personne seule, abandonnée, incomprise, peut crier dans sa misère et un compagnon de route sera mystérieusement tout prêt d’elle. Il l’a connue si intensément lui aussi, cette solitude ! Et puis il n’a que très peu parlé: pas ou peu de programme mais beaucoup de gestes. Les gestes qui prennent soin, qui réconfortent, qui réinsufflent de la chaleur.

Avec de pauvres gestes et peu de paroles, Dieu est passé dans notre histoire humaine et ce qu’il a offert, personne d’autre que lui ne pouvait l’offrir: il a offert la vie. Humble et sans voix, il est aujourd’hui la voix de ceux qui ne peuvent ou n’osent s’exprimer. Cette voix, c’est un silence assourdissant qui appelle et qui nous interpelle. Cette semaine, alors que nous fêtons Noël, il nous redit que l’amour doit être sauvé parce qu’il a la fragilité même de Dieu. Il ne se fait pas remarquer, il ne crie pas plus haut que les débilités télévisuelles qu’on nous assène, parce que l’amour véritable est sans éclat. Il ne s’impose pas, il se découvre. Et si c’était de ça, que Dieu était venu me sauver ? De cette longue et mortelle torpeur du cœur et de l’esprit, cette torpeur qui pourrait me faire tellement ressembler aux gens qui festoient dans la salle commune tandis qu’il n’y avait plus de place pour Dieu lui-même dans un corps de petit bébé.

Si le Verbe, comme le dit le Prologue de Jean, a « planté sa tente en nous », alors je comprends que j’étais en train de mourir de mon enfermement, de ma dureté, de mon indifférence à ce qui est si précieux et que je ne voyais pas: il y a Dieu dans l’homme. Et si je déployais autant de patience à accepter, à accueillir, à bénir même, ce qui est fragile, blessé, imparfait, déroutant, décevant, dans la vie de ceux que je côtoie, que j’en mets à adorer l’enfant Jésus dans la crèche, alors sans doute que le message de Noël aurait un peu agi sur moi. Et si c’était ça, après tout, le premier et le plus étonnant des miracles ?

Emeric DUPONT

 

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