HEUREUX… MALHEUREUX… QUELLE DIFFERENCE ?

19 mai 2015

     En lisant cet Evangile, une question me vient à l’esprit : pourquoi est-on heureux ou malheureux ? Je pose bien-sûr cette question au-delà des événements qui surgissent tout au long de la vie. Un événement peut nous affecter en bien ou en mal mais ce n’est pas cela la question de fond, qui porte sur l’orientation fondamentale de chaque vie.

     Encore une fois, si l’on met à part tout événement et que l’on regarde simplement le fond, je crois que ce qui différencie le sentiment du bonheur de celui du malheur c’est la notion d’accomplissement. Me rend heureux, pas forcément ce qui a trait à l’argent, aux honneurs et au pouvoir, même si ces choses-là ont leurs attraits, au moins pour un temps. Mais on a vu des êtres, pourtant comblés sur le plan matériel, dépérir. Et à l’inverse, peut-être pas en occident mais ailleurs, beaucoup d’autres êtres vivre de peu de choses, dans des proportions qui nous sembleraient à nous effarantes, mais habités d’un dynamisme joyeux malgré les difficultés.

     Mais si l’on creuse un peu et que l’on questionne ceux qui ressentent un sentiment de paix, de plénitude, de joie profonde, et que l’on s’enquiert de la cause, inévitablement cette réponse viendra : il y a des moments, trop rares sans doute, dans l’existence, où l’on se sent exactement, parfaitement à sa place. Ces sentiments durent peu, ils laissent place, à nouveau, à une certaine frustration, et à une quête plus ou moins désordonnée pour retrouver, parfois à n’importe quel prix, cette impression d’adéquation parfaite entre l’événement et nous.

     C’est peut-être cela, la joie dont Jésus parle tout au long de cette prière sacerdotale, et dont nous avons fait notre thème d’année : elle vient de ce sentiment profond et indiscutable d’être à sa place, que les aspirations intérieures et les réalisations extérieures sont une seule et même chose. La place de Jésus ? Etre cette Parole que le Père adresse à l’homme. Et d’ailleurs il le dit lui-même dans cet Evangile: il n’a fait que transmettre, il a été cette transmission, sa vie a été cette transmission. Ayant parfaitement reçu ce que le Père donnait, Jésus a pu parfaitement se faire passeur, se faire même passage. « Maintenant, dit Jésus, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi, car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données ». Cela ne va pas de soi pourtant, reconnaître en Jésus celui qui reçoit tout du Père, cela change beaucoup de choses ! Mais Jésus ajoute « ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis venu d’auprès de toi ». Ce que Jésus a offert, c’est-à-dire lui-même, les premiers disciples l’ont reçu entièrement, sans choisir, sans trier, sans marchander !

     Lorsqu’il dit, lors de l’eucharistie, « prenez », et que ce qu’il offre c’est Lui, que prenons-nous en fait ? Prenons-nous machinalement, à la va-vite, cette offrande que Jésus fait de lui-même ? Si l’on croit que les attitudes du corps sont le reflet de ce que pense l’esprit, alors que penser si je reçois Jésus en essayant d’attraper l’eucharistie avec deux doigts, ou avec une autre main dans la poche, en disant « merci » au lieu de « amen » qui veut dire, je le rappelle à toutes fins utiles, « je crois »… Qu’est-ce que je reçois en recevant Jésus ainsi ? La Parole du Père qui a pris chair et se donne en Jésus ? Ou bien l’insipide petit morceau de pain sans sel et sans levain, et rien d’autre ? C’est dommage, alors, car le sel et le levain c’est Jésus lui-même, et peut-être, par mon attitude intérieure dont l’extérieur est souvent le reflet, j’ai manqué la rencontre. Prenons garde à notre manière de nous approcher de l’eucharistie, qui, sans tomber dans des démonstrations excessives, ne peut faire l’économie de la dignité, de la simplicité et du recueillement, à l’image même de ce qui cherche à se donner à nous à travers elle.

     Recevoir Jésus en totalité, tel qu’il veut s’offrir, c’est prendre cette humanité transfigurée désormais unie à lui pour toujours, et c’est devenir cette humanité-là, profondément d’ici, mais inspirée et façonnée d’en-haut. De l’incroyable et bouleversant abaissement de la crèche jusqu’à cette marche ardente au travers des villages de Judée et de Galilée, toute marquée d’une seule et unique préoccupation : apporter le réconfort d’un Dieu qui ne se résout décidément pas aux misères des hommes. De la vérité saisissante et lugubre de la croix jusqu’au vide lumineux du tombeau qui ne retient plus personne captif, voilà l’itinéraire que nous fait faire le Père en nous donnant à son Fils. Et si nous sommes au Fils, qu’allons-nous faire de cet honneur ? Rien d’autre, mais que peut-on rêver de plus grand, que le règne vienne et qu’il soit là ? Que la tendresse soit là, que le pardon soit là, que l’éternelle bienveillance soit là, que le réconfort soit là, que l’espérance soit là. Car tout cela est dans nos mains dans Jésus eucharistie et dans Jésus Parole, celle que nous venons d’entendre. Tout cela nous pouvons l’offrir au monde, à la seule et unique condition, mais elle est de taille, que nous l’ayons nous-même reçu, pas en en prenant un peu, mais en prenant tout.

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