Le doute est-il un mal ?

12 octobre 2013

Le drame de ceux qui, essayant de vivre une vie de foi, ou de ceux qui cherchent un sens à leur vie, c’est que lorsqu’ils doutent, c’est souvent dans une certaine solitude. À qui en parler ? A ceux qui croient ? Ne risquent-ils pas de s’offusquer, ou, ce qui serait pire, de m’encourager à cesser de me poser des questions, sur le mode du « prie et ça ira mieux » ?S’il nous fallait un jour marcher le long de cette route parsemée de doutes, nous voudrions savoir si d’autres y avaient marché avant nous, n’est-ce pas ? Selon 1 Corinthiens 10,13, les tentations qui nous assaillent sont « communes à tous les hommes. » Qu’il nous suffise de nous rappeler que bon nombre de personnages bibliques avaient douté à un moment ou un autre de leur marche avec Dieu. Deux récits sont particulièrement étonnants et rassurants.

Jean-Baptiste a reçu de multiples preuves indiscutables, de l’identité divine de son cousin Jésus. Combien de fois Elisabeth, sa mère, a-t-elle dû lui raconter l’histoire de sa confession de foi, qui survint avant sa grossesse ? N’avait-t-il pas, lui, le Baptiste, vu de ses yeux la colombe descendre ? N’avait-t-il pas entendu de ses oreilles la voix disant : « Celui-ci est mon Fils ! » ? N’avait-t-il pas crié lui-même avec conviction « voici l’agneau de Dieu ! » ? Ce prophète, dont Jésus lui-même a dit qu’il était le plus grand parmi tous les hommes, pouvait-il encore douter après tout cela ? Oui ! Quelques mois plus tard, alors qu’il était en prison, le doute a pris le dessus. Jésus est-il vraiment Celui qui doit venir ? L’incertitude est devenue intolérable ; il a envoyé quelqu’un vers Jésus pour lui poser la question : « Es-tu Celui qui devait venir ? »

Un deuxième exemple de doute est encore plus surprenant. Il est logé dans un demi-verset qui passe souvent inaperçu. « Les onze disciples se rendirent en Galilée, sur la colline que Jésus leur avait indiquée. Dès qu’ils l’aperçurent, ils l’adorèrent. Quelques-uns cependant eurent des doutes. » (Mt 28.16,17). Dans ce texte la coexistence quasi-simultanée de l’adoration et du doute est tellement étonnante que les Pères de l’église, probablement pour protéger la réputation des disciples, ont proposé une autre traduction. « Ils l’adorèrent, mais d’autres doutèrent. » Cette traduction attribue le doute à un deuxième groupe, autre que les disciples. La totalité des traductions contemporaines a rejeté cette lecture. Beaucoup d’exégètes d’aujourd’hui ont démontré non ans succès que c’est bel et bien les disciples qui ont douté. De plus, ils considèrent que nos traductions actuelles ne rendent pas encore le véritable sens troublant du texte. Faisant cas des autres utilisations de cette expression grecque chez Matthieu, nombre de traducteurs proposent de lire la phrase ainsi, « ils l’adorèrent, et ils eurent des doutes. » Selon cette lecture, les disciples dans leur ensemble étaient encore tracassés par des doutes, malgré les multiples apparitions du Christ ressuscité ! Au passage, il vaut la peine de préciser que ces doutes ne les ont pas empêchés ni de l’adorer, ni de le proclamer, et d’aller jusqu’au martyre pour l’Évangile. Ainsi s’interroger, est-ce affaiblir notre foi ou au contraire l’ouvrir, lui donner souffle ? La résurrection aurait-elle pu venir s’il n’y avait eu la mort avant elle ? Le christianisme a ceci de particulier que lorsqu’il est enraciné dans le dynamisme qui l’a fait naître, il n’a pas peur des obstacles, des peurs, de l’obscurité… il croit qu’on peut le dépasser. Le doute apparaît alors comme l’occasion d’un dialogue fécond avec soi-même et les autres, en interrogeant la Parole toujours vivante.

Père Émeric DUPONT

Les commentaires sont fermés.