Quand la rue est devenue le premier milieu de vie …

6 novembre 2005

Les violences gui agitent tragiquement nos banlieues depuis plus d’une semaine ne laissent personne indifférent. En tant qu’éducateur spécialisé, le Père Jean Marie Petitclerc, prêtre salésien, connaît bien ces problèmes. Dans le dernier numéro de la Lettre, organe des semaines sociales de France (journées annuelles de réflexion chrétienne sur les problèmes de société, organisées par les Jésuites, il a écrit ces lignes que je vous transmets…
L.M. Chauvet, curé de St Leu la forêt

Pour un bon nombre d’enfants des villes et des campagnes, la rue est un espace interstitiel, l’éducation s’effectuant principalement dans d’autres lieux : la famille, l’école et le tiers associatif. Pour eux, la rue est essentiellement un lieu de circulation. Mais pour beaucoup d’enfants et d’adolescents que nous côtoyons dans les quartiers sensibles, la rue est bien plus que cela. Certes, ils ont un lit chez eux, mais les difficiles conditions matérielles (étroitesse du logement, absence d’équipements,…) et l’ambiance familiale, souvent conflictuelle, sont parfois difficiles à supporter. Et leur scolarité est souvent marquée par l’échec et l’absentéisme. Ils préfèrent la liberté de la rue. Ils passent régulièrement dans l’appartement familial, tentent de sauvegarder une relation affectueuse surtout avec leur mère et utilisent ces séjours pour se restaurer, se laver, se changer. Ils ne sont donc pas stricto sensu des enfants de la rue. Mais on constate cependant que , peu à peu, c’est la rue qui devient leur «chez eux», l’appartement familial n’étant plus qu’un lieu de passage. Leur référentiel de valeurs, leurs modèles , leur vocabulaire, leurs mode de vie, c’est dans la rue qu’ils se les forgent. Ils y passent le plus clair de leur temps. Ce. n’est plus seulement alors un espace interstitiel, mais un véritable espace référentiel, lieu de construction de l’identité culturelle. Cela devient un vrai lieu de transmission. (…)
Leur langage est très spécifique. L’utilisation massive, non seulement du verlan, mais aussi de néologismes fabriqués à partir de racines culturelles différentes, le rend de plus en plus hermétique au non-initié. Les adultes se trouvent ainsi de plus en plus exclus de ce type de communication , le langage étant celui d’un « entre-jeunes ». Et alors qu’il y a une dizaine d’années, les jeunes savaient jouer d’un double langage, le leur utilisé entre eux et le français légitime dans les institutions tenues par les adultes, ils ont aujourd’hui tendance à n’utiliser partout que le premier (…) Dans le langage de la rue, les insultes verbales son totalement banalisées. Alors, ne disposant pas de mots pour traduire ses émotions et tous les «gros mots» devenus banaux, il ne reste au jeune que la violence pour exprimer son mal-être. Dans la rue, la seule manière pour un jeune de cité d’exprimer qu’il ne va pas bien , c’est le recours à la violence. Car s’il se mettait à pleurer, son image serait atteinte.
La violence devient ainsi le mode d’expression privilégié. Elle est utilisée, non seulement à l’égard des adultes et des institutions, mais de plus en plus dans l’entre-jeunes. La plupart des victimes de la violence des enfants et adolescents sont eux-mêmes enfants et adolescents, comme le prouve l’actualité terrifiante de récents faits divers. Une telle violence est souvent utilisée non seulement comme mode d’expression (type de langage), mais aussi comme mode d’action (code de conduite) et une hiérarchie interne s’effectue chez les jeunes de cité par rapport à leurs performances dans son usage.
On le voit , un tel référentiel de valeurs est loin du référentiel de citoyenneté enseigné dans l’école républicaine. Cependant, il ne faut pas avoir une image totalement négative de la culture de la rue, car celle-ci constitue aussi un formidable lieu de créativité. D’ailleurs, tout ce qui aujourd’hui caractérise la culture «jeunes», que ce soit dans le domaine de la chanson (le rap), la danse ( le hip-hop), la mode (le port du Jean au-dessous des hanches) n’est-il pas né dans la rue ?
Et si l’important, pour l’avenir de notre société, consistait à créer des passerelles entre la rue et les différentes institutions ? Il est urgent de développer la médiation interculturelle.
Père Jean Marie PETITCLERC

P. Louis-Marie Chauvet

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