UNE VALEUR QUI N’A PAS DE PRIX

11 septembre 2016

Je suis frappé de voir que dans les trois paraboles de l’Evangile de ce dimanche, ce qui est perdu est enfermé dans une passivité extrême. La pièce d’argent, malgré sa valeur, ne pourra jamais retrouver sa propriétaire si on ne vient pas la chercher. De même pour la brebis, et même pour le fils dépensier, que seul l’amour du père re-transforme en fils, enfin. Ces objets perdus sont là pour parler de nous, aujourd’hui, aussi étrange que cela paraisse: Valeur de la pièce, fragilité de la brebis, égarement du fils… à en croire les paraboles, nous sommes bel et bien l’objet d’une recherche. Que nous en ayons conscience ou non, que nous soyons croyants ou non, que cela nous plaise ou non, il y a sur chacune de nos têtes un « avis de recherche » dont le Père a seul l’initiative. Et cela a commencé aux origines même, lorsque le Créateur s’est écrié « Où es-tu, Adam »; où es-tu, homme ? Réponse de l’intéressé (je vous envoie aux récits de la Genèse): « je me suis caché car j’ai eu peur de toi ». Et c’est là que tout commence, que chacune de nos histoires personnelles peuvent devenir une histoire sainte. Car nous ne nous laissons pas trouver facilement. Nous avons peur de nous laisser prendre. Ce serait perdre cette illusion d’autonomie, mieux vaut cette interminable solitude qu’être dans la main d’un autre, sous le regard de l’Autre. Et pourtant, il y a en nous suffisamment de valeur pour être la pièce d’argent, suffisamment de fragilité et d’innocence pour être la brebis, suffisamment de capacité à nous reconnaître enfants d’un Père dont nul n’a jamais vu le visage pour ne pas rester insensible à ces mots de l’Evangile, bouleversants de tendresse: « mon enfant »…

Mais ce n’est pas tout ! C’est en Christ que se produit la plus complète et la plus impensable des révolutions. Car la promesse qui nous est adressée ici est fondée sur sa traversée de la vie telle qu’elle est ici-bas, marquée par une certaine privation de liberté. Il est entré dans cette vie-la, il l’a assumée, il est devenu brebis. Et Isaïe en son chapitre 53, promet que le serviteur de Dieu, qui préfigure le Christ, « brutalisé comme une brebis [… au profit des foules et supportant leurs perversités deviendra leur berger » c’est-à-dire pourra se tenir debout, retrouver la dignité perdue, retrouver la dignité royale dont seule les enfants d’un très Haut monarque peuvent bénéficier. Et quel plus haut monarque que celui qui a fait le ciel et la terre et tous ce qu’ils contiennent ? Si comme le proclame le psaume « Le Seigneur est mon berger », se laisser prendre, élever vers celui qui désire ardemment venir nous chercher pour nous unir à Lui, nous sortons déjà, en espérance, de notre exil.

Que faire de cette révélation ? Comment disposer notre vie pour qu’elle entre dans ce plan divin, grandiose et vertigineux? C’est peut-être d’abord d’accepter que ce plan existe, que nous en faisons partie. Qu’une quête éperdue se déroule à notre insu, d’un Dieu qui désire ardemment trouver en nous une prise pour nous saisir, une place pour entrer même infime, cette part de nous-même assez lucide pour se reconnaître une valeur qui mérite de retourner à celui qui l’a suscitée, c’est-à-dire de s’aimer suffisamment soi-même comme il se doit, avec confiance, humilité et réalisme. Je suis cette monnaie d’argent, cette valeur égarée mais pourtant précieuse. Je suis cette créature incapable de survivre seule, qui peut trébucher et tomber, capable d’une innocence assez grande pour me laisser porter par le berger. Je suis cet enfant dont un père quelque part, attend le retour. Et je n’ai jamais cessé de faire le chemin à l’envers pour revenir à sa maison. Ce chemin prend toute une vie. Cela cesse, définitivement, de faire de l’existence un fruit du hasard, ponctué de moments absurdes. C’est un long retour d’exil. Que fait le chrétien lorsqu’il vit en conscience ? Il retourne à la maison. Ce chemin de son existence lui apparaît alors comme cette longue et joyeuse conversion, la préparation de ces retrouvailles. Parce que cela le dépasse et le déborde, il fait de sa vie un merci. En grec, « eucharistie ».

+ Emeric Dupont

 

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