Cette prière du Christ dans l’Évangile de Jean est adressée au Père : il demande que tous, toute l’humanité d’hier et d’aujourd’hui, nous soyons rassemblés en une unité parfaite, à l’image de sa propre unité filiale avec le Père.
De ce désir du Christ que ses disciples soient le ferment de cette unité, les Églises chrétiennes ont tiré la conclusion, à la fois juste et triste, que les divisions entre nous sont une blessure supplémentaire au corps du Christ qu’est Son Église. Les chrétiens divisés, ayant traversé parfois jusqu’aux guerres et aux atrocités mutuelles, finissent par devenir, à cause de ce qui les divise (dogmes, questions de gouvernance, questions sur les ministères ordonnés ou non, questions sur le statut de la Parole de Dieu et des sacrements…) une contradiction vivante. Appelant à l’unité, ils seraient incapables de s’entendre, à cause de différends historiques, sur la foi qui, pourtant, devrait les unir.
La semaine de l’unité des Chrétiens, qui s’achève ce dimanche, est souvent l’occasion de méditer sur ces fractures et de les porter dans la prière. Et rien n’interdit d’y contribuer soi-même, sans regarder à la modestie de nos initiatives. Mais parler de « semaine de l’unité », c’est, comme le concept d’une « journée de la femme », un moyen artificiel, donc contestable, de se souvenir un peu de ce qui, pourtant, devrait demeurer sans cesse dans nos esprits. Sur le dialogue entre nos églises, les dernières décennies ont vu plus d’avancées que les siècles passés : depuis le Concile Vatican II, où des chrétiens non-catholiques furent invités en observateurs, les églises orthodoxe et catholique ne s’excluent plus l’une-l’autre. Elles regardent le trésor des sept premiers conciles qui leur furent communs. Avec nos frères luthériens, les accords de 1999 sur la conception chrétienne de la foi (l’adhésion au Christ sauveur) et des œuvres (les actes bons) et leur place respective dans le salut… tout cela a permis de lever nombre de malentendus et de contentieux passés, plus de 400 ans durant. Avec nombre d’églises protestantes, des efforts continuent dans le sens de l’écoute sincère des schémas de l’autre et de l’affirmation des siens, sans chercher à faire plier l’interlocuteur, ce qui est la condition incontournable d’un dialogue vrai.
Des domaines entiers, pourtant, semblent ne jamais devoir permettre l’unité définitive. Il y a encore trop de choses qui nous séparent pour pouvoir espérer un retour rapide à l’unité achevée dans la grande famille des chrétiens. Lorsque nous baptisons pourtant, nous le faisons au nom du même Dieu Père, Fils et Esprit Saint. Nous croyons que l’entrée dans la vie du Christ change l’existence en profondeur. Sur la Parole de Dieu, les années soixante ont vu la floraison de textes traduits ensemble, par des groupes mixtes de chrétiens d’Églises séparées… jusqu’à la parution de la première traduction vraiment « œcuménique » (unitaire) de la Bible. Quelle joie, lorsque nous prions le Notre Père, malgré les imperfections de la traduction commune, de pouvoir le réciter ensemble ! A Villiers-Le-Bel, dans notre Val d’Oise, l’Alliance Biblique Universelle, grande association protestante à l’origine de l’édition de bien des Bibles en français abordable et concret, permet à présent à des chrétiens catholiques ou protestants de collaborer dans l’étude et la traduction des textes.
Mais le chemin qui nous reste à parcourir demeure impressionnant, presque décourageant. Pourtant Jésus ne cesse de répéter, au moment de sa dernière prière avant l’arrestation du Jeudi Saint: « Que soit parfaite votre unité, que soit parfaite votre joie ». Comme si, déjà, dans le maigre groupe des apôtres, des dissensions se pressentaient déjà. Car ce sont les hommes, et personne d’autre, qui portent sur leurs épaules les difficiles et délicates responsabilités de la décision, du discernement et de la charité en actes. Et si l’Esprit Saint, parfois, nous inspire, pour peu que nous lui laissions un tant soit peu de place (mais qui peut être sûr qu’il se soit suffisamment vidé de lui-même pour laisser place en lui à l’œuvre de Dieu?), mais il ne décide pas pour nous.
Sans minimiser nos différences, sans les fuir ou les nier, décidons d’avancer vers l’unité. Toujours et davantage. Cela seul nous rendra la plénitude de la joie promise. La recherche de l’unité ne peut se passer de la recherche progressive et humble de la vérité, qui ne peut être qu’Une. Et c’est du dialogue qu’elle surgira.
Père Émeric DUPONT, Curé